A Monsieur le Ministre des Affaires étrangères, Steven Vanackere.
Monsieur le Ministre,
Par la présente, les soussignées et soussignés tiennent à vous exprimer leurs plus vives inquiétudes.
Le sort judiciaire réservé au ressortissant belge, Monsieur Ali Aarrass –emprisonné depuis 1.370 jours– ne cesse, en effet, d’interpeller les citoyens que nous sommes.
Plus le temps passe, plus l’accumulation des faits justifie nos craintes, nos appréhensions. Monsieur Aarrass (incarcéré depuis le 22 décembre 2010 à la prison marocaine de Salé –où la police l’a gravement torturé pour tenter de lui extorquer des aveux) est présentement la victime de ce qu’il faut bien appeler une parodie de procès.
Tout indique, en effet, que la Cour spéciale de Salé n’a, en la circonstance, qu’une seule préoccupation : faire condamner, «coûte que coûte», Monsieur Ali Aarrass au prétexte de sa soi-disant appartenance à un groupement terroriste. On rappellera que le ressortissant belge Ali Aarrass (habitant alors dans l’enclave de Melila, auprès de son père) avait déjà fait l’objet –en Espagne– de plus de deux ans d’enquête par le juge anti-terroriste Baltazar Garzon. Celui-ci avait cependant conclu, en 2008, à l’absence de tout élément ou indice corroborant de prétendus trafics d’armes dans le cadre d’actions terroristes. Cette enquête avait été initiée grâce à des informations transmises aux autorités espagnoles par la police marocaine, informations alléguant une prétendue implication de Monsieur Aarrass dans le dénommé «Réseau Belliraj». Par la suite, le Maroc avait émis un mandat d’arrêt extraditionnel, en 2008, toujours pour des prétendus faits de terrorisme.
Passant outre, de manière extravagante, «les Mesures provisoires» ordonnées par le Comité des Droits de l’Homme des Nations Unies…, Madrid décidait néanmoins d’expulser Ali Aarrass vers le Maroc, le 14 décembre 2010.
Faut-il à nouveau le répéter ?
A l’époque, tant les autorités espagnoles que les services attachés à votre Ministère avaient pour ainsi dire justifié cette extradition, arguant des assurances données par les autorités marocaines d’une procédure et d’un procès équitables –respectant les règles de droit et les droits de la défense…
Dès son arrivée sur le sol marocain, Monsieur Aarrass a pourtant été sauvagement torturé par les services secrets marocains (il a fait l’objet d’injections de produits chimiques, de chocs électriques dans les parties génitales, de viols et de nombreux autres sévices inqualifiables). Lorsqu’il est présenté pour la première fois devant un juge d’instruction, Ali Aarrass se trouve d’ailleurs dans un état tel… qu’il est impossible de l’auditionner.
De quoi accuse-t-on Monsieur Aarrass ?
D’avoir transporté des armes entre la Belgique, l’Espagne et le Maroc, dans le cadre d’une association terroriste. Or ces accusations reposent uniquement sur les déclarations de personnes qui ont également fait l’objet de tortures…, déclarations qui ne figurent même pas au dossier de la procédure ! Qui plus est, au Maroc même, la police a évidemment recherché, avec toute l’ardeur voulue, des preuves matérielles de ces activités criminelles : autant le préciser… sans aucun résultats.
Maîtres Lahcen Dadsi (du Barreau de Casablanca), Zakaria Louski (du Barreau de Mekhnès) et Mohamed Jallal (du Barreau de Rabat) ont égrené de manière méthodique et sérieuse les nombreuses illégalités ayant (jusqu’ici) entaché la procédure.
Quel sort le tribunal va-t-il réserver à certains procès-verbaux de la police qui sont manifestement des faux, les dates ayant été grossièrement manipulées afin de tenter, sans succès, de dissimuler la détention arbitraire et cruelle d’Ali Aarrass par les services de Renseignement marocains dès son arrivée sur le sol chérifien ?
Le premier procès-verbal, datant du 15 décembre 2010 mentionne, en particulier, des événements s’étant déroulés les 18 et 20 décembre… Comment expliquer que, placé en détention et finalement relaxé en Espagne, Monsieur Aarrass soit à nouveau poursuivi au Maroc… pour les mêmes faits ?
Pourquoi aucune investigation de médecine scientifique n’a-t-elle été diligentée concernant les allégations de torture, malgré la plainte formelle déposée auprès de cinq instances marocaines officielles (lesquelles n’y ont donné aucune suite ou accusés de réception)?
Comment concilier les pseudo aveux d’Ali Aarrass en langue arabe dans les procès-verbaux de la police, alors que «l’inculpé» ne connait pas cette langue et que le Tribunal lui a dès lors attribué un interprète ? Etc, etc…
L’ensemble des faits ici répertoriés, les atteintes systématiques au déroulement d’une Justice juste…, tout montre qu’on assiste –en cette affaire– à la volonté délibérée de porter préjudice irrémédiable à l’intégrité physique, morale et psychologique de Monsieur Aarrass.
En conséquence, par la présente, nous vous prions –en tant que représentant du gouvernement de notre pays– d’interroger le Maroc quant à la situation d’un de nos ressortissants ; de solliciter notre Consulat à Rabat afin qu’un Conseiller visite, au plus vite, Monsieur Aarrass dans sa prison et assiste aux prochaines audiences de son procès pour prendre note, en toute objectivité, de la manière dont il se passe.
Dans l’attente d’une réponse diligente de votre part, nous vous prions de croire, Monsieur le Ministre, en l’expression de notre considération distinguée.