Ali Aarrass, Salé II, Matricule 69 : Lettres de l’ombre (deuxième partie), adressées à la DGAPR (Délégation Générale à l’administration pénitentiaire et à la réinsertion)

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Letters from prisonMessage adressé à la DGAPR  – Partie 2

Méthodes drastiques du directeur

 

Le 6 juin, premier jour du Ramadan dans le monde entier.  Mais pas au Maroc, forcé de se démarquer encore et toujours.

Le directeur fait sa tournée accompagné de ses gorilles et de son confident.  Il passe de cellule en cellule pour vérifier qui a commencé à jeûner, il prend des notes.  Les noms de tous ceux qui ont osé jeûner en ce lundi 6 juin vont figurer dans une liste.  Allez savoir ce qu’il compte faire avec cette liste.  Mais ce qui est sûr, c’est que le mal est déjà fait.  Les détenus sont tous angoissés, terrorisés à l’idée que ce simple acte d’adoration dans un pays musulman par ailleurs pourrait leur valoir le cachot, les coups, voire même un transfert ailleurs, vers l’inconnu. Des méthodes dignes des années de plomb !

Je m’adresse à présent à la DGAPR, Délégation Générale à l’Administration pénitentiaire et à la réinsertion.

Celle-ci préconise le contact avec les prisonniers, le rapprochement, le dialogue, et des efforts dans le sens de la réinsertion et du respect des droits de l’homme.  Sans discriminations et sans racisme.

C’est du moins le beau message que véhicule cette autorité à travers les médias, la radio et les journaux.  Un tableau idyllique s’il n’était autant altéré dans la réalité…Une triste réalité qui ne reflète rien de toutes ces nobles intentions et résolutions!

J’ai envie de crier ma colère…Si le système carcéral au Maroc, pays musulman, respectait les droits humains fondamentaux comme vous le prétendez, pourquoi ce système me refuse même le choix quant au jour où je décide de commencer à jeûner ?!

Pourquoi ce système refuse-t-il au prisonnier la simple pratique d’un sport collectif ou en groupe selon ses choix personnels ?!

Vous prétendez que ce système s’inspire d’un état démocratique alors qu’il empêche la paix au sein de la prison ! Et pourtant, Dieu sait que le détenu souhaite exécuter sa peine dans la paix !…En ce qui me concerne, je suis victime d’une privation de liberté arbitraire flagrante…Si en plus, je dois subir un harcèlement au quotidien de la part de la direction et de ses sbires (du simple gardien au conseiller du directeur prêt à tout pour une promotion), je ne puis ni l’admettre ni l’accepter.

Le directeur actuel parait avoir été choisi pour semer la terreur sur des personnes particulièrement fragiles et vulnérables au sein de la prison. Il s’applique par exemple à terroriser des nouveaux arrivants alors que la plupart n’ont toujours pas été condamnés…Ces personnes sont par conséquence présumées innocentes tant qu’aucun jugement ne les condamne.

Il cherche à soumettre l’ensemble des prisonniers en leur mettant une pression énorme…Il pense ainsi faire régner l’ordre, mais il se trompe grandement, selon moi.  Tout ce qu’il récolte c’est un ras le bol et les prémices d’une révolte…On entend un grondement sourd qu’il est le seul à ne pas entendre…Les fonctionnaires lui en veulent autant que les détenus car c’est à eux qu’incombe la lourde tâche de gérer les dégâts d’une gestion aussi sévère.

Je sais par ma triste expérience que de telles méthodes par la force ne produisent que des troubles au sein d’une prison….J’ai encore en mémoire l’année 2012, époque du directeur Darif et de son adjoint, Bouazza.  Les deux comparses avaient semé le chaos ici à Salé 2.  Ces deux individus sans scrupules m’avaient fait tabasser en leur présence, au simple motif que je réclamais mes droits les plus élémentaires.   Peut-être avez-vous pu visionner une vidéo qui circule sur le Net où j’ai le corps couvert d’hématomes…Mon état démontre leur brutalité et la barbarie dont les deux sont capables.

La rumeur

Les méthodes de ces directeurs successifs, qui se limitent à user de la violence pour gérer une prison, sont la preuve qu’ils n’ont aucune compétence pour exercer une telle fonction.  L’usage de la répression, de la force à tout va, ne fait que rendre les murs de la prison encore plus infâmes qu’ils ne sont déjà. Aussi, la période du tandem Darif-Bouazza a vu des révoltes qui ont été le résultat de mauvais traitements infligés tant physiquement que psychologiquement. Ils se sont sciemment attelés à détruire ce que le détenu a de plus cher, sa dignité humaine… Pour l’instant, je continue à subir pour ma part des mesures d’intimidations et de répression mais je ne baisse pas la garde, je suis constamment aux aguets. Je ne suis pas épargné. Ces gens (la direction) ont une imagination débordante et maléfique, ils sont même diplômés en matière de vice.

Récemment ils ont imaginé et conçu un stratagème à mon encontre pour tenter de  m’affecter.

Dans ma nature et en tant qu’homme de foi doté de principes et de valeurs universelles, j’éprouve un réel besoin de porter une aide à ceux parmi mes codétenus qui sont plus démunis et plus fragiles que moi-même. Par exemple, je partage avec ceux qui sont dans le besoin une partie du montant que mes proches versent à l’économat/cantine. Cette aide leur permet de se procurer des produits de première nécessité (alimentaire), produits hygiéniques et cartes téléphoniques pour joindre leurs proches. A travers ce geste, Dieu m’est témoin que je n’ai jamais recherché un intérêt quelconque, une contrepartie ou préparé une stratégie.

Pourtant, pour nuire à ma réputation, la direction a répandu la rumeur selon laquelle je gagnais la sympathie des prisonniers afin d’organiser des émeutes au moment opportun. Ironie de l’histoire, la personne qui m’informe de ces propos mensongers me concernant n’est autre que le conseiller, bras droit, confident, appelez-le comme vous le voudrez, du directeur.   Et il ajoute que pour lui, « ce directeur représente uniquement sa promotion et qu’il tient à arriver à ses fins ».

En réalité, cet ignoble personnage me prouve sa grande hypocrisie et combien il est peu digne de confiance en dénonçant ainsi le directeur dont il est prétendument très proche en tant que « conseiller ». J’en profite pour raconter un autre fait qui a eu lieu tout récemment.

 

La visite de mon avocat, Me Cohen

J’avais été averti par ma sœur, Farida, que maîtres Cohen et Marchand comptaient se rendre au Maroc pour des démarches d’ordre juridiques concernant mon dossier. Farida me précisa que Me Cohen allait certainement me visiter entre le 6 et le 9 juin.

Etant donné que je n’avais jamais reçu de réponse suite à tous mes courriers envoyés à la DGAPR, je m’empressais de rédiger une série de plaintes, remarques, questions, et autres dans un courrier que je remettrais en main propre à Me Cohen le jour de sa visite.

Cependant,  j’ignorais que maître Cohen n’arrivait au Maroc que le 6 juin tard dans la soirée. Je reçois l’information que mon avocat est là, et je m’empresse de saisir mon courrier que j’ai pris la précaution de mettre sous enveloppe. Peu avant d’arriver dans la salle des visites, le directeur et son conseiller viennent vers moi comme s’ils m’attendaient en embuscade.  Ils voient l’enveloppe et me demandent de la leur remettre.  Ils n’ont pas le droit de me demander ça.  Tous les deux tentent une forme de dissuasion diplomatique pour m’empêcher de remettre la lettre à mon avocat…Voyant que je ne cède pas, ils finissent par user de plus de fermeté et le conseiller va jusqu’à me demander, de ne pas compliquer la situation.  Je lui demande de me dire en quoi je la complique, alors qu’au contraire selon moi je la facilite en leur évitant des démarches supplémentaires…  Mais rien n’y fait….

Je décide alors de déchirer la lettre sous leurs yeux ébahis. Ils en restent là pour le moment et tournent les talons…

J’arrive à la salle des visites. Ce n’est pas Me Cohen mais Me Idrissi qui est là, mon avocat marocain.  Je lui raconte ce qui vient de se passer, mais que pourrait-il donc faire face à ce phénomène ?  Il vient me parler entre autre du résultat de l’enquête sur les allégations de torture.  Mais je lui demande de ne rien rajouter. Je lui explique que ma sœur, Farida, m’a déjà informé et que je ne tiens pas à me rendre davantage malade.  Je sais déjà que l’enquête sur les allégations de torture menée par le Maroc s’est soldée par un non-lieu.

Autrement dit, selon eux, j’avais tout inventé.

Le mardi 7 juin, j’attends impatiemment maître Cohen, mais la journée passe et il ne vient pas.

Le mercredi 8 juin, j’espère encore qu’on vienne me chercher, mais pas de visite non plus.

Le jeudi 9 juin, j’ai quasiment perdu espoir quand en fin d’après-midi, presque à la fin des heures prévues pour les visites, on vient me chercher. Maître Cohen est là, il m’attend dans la salle des visites. Je suis heureux de le voir.

Il me raconte à quel point cela lui a été difficile d’obtenir l’autorisation de visite.

Me Marchand et lui ont dû se rendre à l’administration, au parquet général, au ministère de la justice, contacter les bâtonniers, etc… Un parcours du combattant pour des avocats qui souhaitent simplement rendre visite à leur client… Les autorités inventent en réalité des autorisations de visite qui n’existent pas pour rendre la tâche plus difficile, pour compliquer, décourager, démotiver toutes les tentatives… Abjecte !

De la même manière que Me Idrissi, je ne souhaite pas l’entendre sur l’enquête concernant les allégations de torture.  Lorsque ma sœur m’en avait touché mot par téléphone, je suis rentré dans une colère noire.  Colère que j’ai dû ravaler et dompter, pour ne pas commettre l’irréparable.  Je me suis résous à pleurer et à m’en remettre au Tout Puissant.  Car cela représente pour moi le summum de toutes les injustices que j’ai vécues jusque-là.  Nier tous les actes de torture sur ma personne est bien la chose la plus ignoble qu’on pouvait me faire…

Pendant notre entretien, le directeur en personne ouvre la porte de la petite salle alors que l’avocat venait de la fermer.  Je préfère donc ne pas trop en dire.  Aussi, ils ont tant fait courir Me Cohen dans tous les sens pour l’autorisation de visite, qu’il devait déjà repartir après 20 minutes afin de ne pas rater son vol de retour.

(Cette lettre est la deuxième des trois lettres d’Ali Aarrass de juin 2016, retranscrites par Farida Aarrass)

 

 

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