Dans La Libre 30 octobre : « La tragédie Ali Aarrass révèle l’état de nos sociétés », par Mohsin Mouedden, président de l’association « Les Ambassadeurs de la Paix »

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Si Ali était d’origine Belge, il est certain que notre gouvernement aurait agi d’une manière bien plus volontaire. Pour lui et sa sœur qui a elle aussi entamé une grève de la faim, nous ne pouvons rester silencieux !

Le cas douloureux, voir tragique, du prisonnier belgo-marocain Ali Aarrass, doit nous aider, démocrates, musulmans, Européens et humanistes à faire la lumière sur nos sociétés, ici et là-bas, (ici en Belgique et en Europe, là-bas, au Maroc et dans le reste du monde). Je ne reviendrai pas sur le dossier (1), chacun selon sa conscience et son honnêteté estimera qu’à la lecture des faits, ce dernier est innocent ou coupable. Pour ma part, le prisonnier Ali Aarrass est innocent, victime d’un jugement politique ou d’un acharnement politico-judiciaire d’un autre temps.

La tragédie d’Ali Aarrass révèle beaucoup sur l’état de nos sociétés. Notre démocratie, dit-on exemplaire se compromet et soutien un état pratiquant la torture, notamment sur un ressortissant belge, mais qui a le malheur d’être d’origine marocaine. Me direz-vous, rien de nouveau, des démocraties torturent également via leurs états satellites arabes, les Etats-Unis torturent également à Guantanamo, et alors ? Est-ce une raison pour pratiquer un relativisme édifiant, accepter l’inacceptable et voir nos sociétés, peu à peu plonger dans un état policier sordide ?

La tragédie d’Ali Aarrass révèle également le silence complice de ces intellectuels, médias, politiques qui par amitié au Makhzen (2) (et non au Maroc) préfèrent le silence, pire, la complaisance. Sachons également remercier (là, ou ce ne serait qu’un devoir), ceux qui, dans les médias, politiques et intellectuels belges sont mobilisés.

Racisme d’état

La tragédie d’Ali Aarrass révèle aussi le double traitement, indigne et coupable de ceux qui, aujourd’hui, politiques, mènent notre pays vers les abysses d’un communautarisme ignoble, faisant de la préférence identitaire (nationale) le socle d’une politique qui trouve ses racines dans le sordide XIXe siècle de tous ces idéologues et penseurs qui fabriqueront cette image de l’ennemi de la Nation, le Juif. Aujourd’hui, ce rôle est dévolu à l’arabe, le Maghrébin, le musulman.

Si Ali était d’origine belge, il est certain que notre gouvernement aurait agi d’une manière bien plus volontaire. Ce racisme d’état, puisqu’il s’agit de cela, démontre que les mots de la défunte Anne Marie Lizin ( « Belges entre guillemets » ) sont d’une implacable réalité.

La tragédie d’Ali Aarrass nous dévoile également qu’être né en Belgique ou en Europe, avoir été éduqué à l’européenne, avoir même servi sous les drapeaux ne représente aux yeux de notre gouvernement aucun crédit. Notre gouvernement doit également considérer que la Justice espagnole n’a aucun crédit. Pire, notre gouvernement et en l’occurrence Monsieur Didier Reynders ne bougera pas, même lorsque la Justice de notre pays le condamne et le pousse pourtant à prendre ses responsabilités.

La tragédie d’Ali Aarrass est désespérante à plus d’un titre, toutes les associations considérés comme crédibles (Amnesty International, la Ligue des Droits de l’Homme, l’ONU,…) lorsqu’il s’agit de pointer du doigt des régimes archaïques, non amis de l’Occident, deviennent subitement une gêne pour nos gouvernements. Pire, certains sont même prêts à les boycotter, les censurer, cela seulement pour ne pas froisser un régime archaïque mais, ici, grand ami de la politique atlantiste.

Pas contre le Maroc

Enfin, j’aimerais dire un mot sur les sceptiques, ceux qui sont persuadés ou pensent qu’Ali Aarrass est probablement, peut-être coupable. Ceux-là font dès lors fi de toutes les enquêtes crédibles, méprisent toutes ces associations des Droits de l’Homme, pour préférer une Justice marocaine réputée pour ses méthodes expéditives où la torture n’est qu’un symptôme grossier d’une Justice malade ou, au mieux, sous emprise.

Je voudrais conclure ce texte en rappelant qu’il ne s’agit pas d’être contre le Maroc, vieille rengaine des fidèles du Makhzen qui pratiquent la même stratégie que ceux qui, en Israël, estiment que dès qu’on critique une politique suicidaire on s’attaquerait aux juifs. En soutenant Ali Aarrass, nous soutenons un Maroc fort, dynamique, courageux. Celui qu’on aime de Tanger à Laâyoune.

Il ne s’agit pas non plus, ici, de mépriser le gouvernement belge, mais de lui rappeler qu’il a des devoirs, notamment de protection envers ses citoyens et qu’il se doit de respecter les traités internationaux signés. Si la politique ne se base pas uniquement sur les Droits de l’Homme, que dire lorsque la politique (belge) fait totalement l’impasse sur ces derniers pour leur préférer le confort des riads […] tout en laissant un homme torturé et innocent, agonir.

Je ne voudrais pas non plus faire des parallèles avec d’autres prisonniers, je pense à Nelson Mandela, à Bobby Sand ou au Mahatma Gandhi, voir plus proche de nous, José Bové, Mumia Jamal etc. Le dossier actuel est déjà très lourd contre l’administration marocaine sans qu’il soit nécessaire d’y ajouter des symboles forts. Cependant, à partir du moment où nous estimons Ali innocent sur base de l’enquête espagnole (qui n’est pas l’allié des islamistes, loin de là), nous pouvons considérer quelque part qu’Ali Aarrass à son niveau (il n’avait pas comme objectif de changer politiquement ou culturellement le Maroc) fait lui aussi, partie de cette lignée…

Faudra-t-il attendre sa mort tragique après des années de tortures pour qu’enfin, bien plus tard, le gouvernement belge s’excuse, lui élève une stèle et qu’on reconnaisse son innocence ? Je pense également qu’il faut que chacun, dans son petit confort, se secoue l’esprit, se libère de cette peur paralysante chez beaucoup de Belgo-Marocains qui ne voient dans le Maroc qu’un pays exotique pour des vacances dorées.

Nous devrions interpeller l’Ambassadeur du Maroc partout où il se produit, lui qui aime tant la compagnie des Marocains de Belgique, mais qui refusait hier de recevoir ne fût-ce que pour cinq minutes, une mini-délégation, démontrant là aussi, la gêne d’un homme qui doit probablement lui aussi considérer que son Makhzen dérape grandement…

Nous devrions exercer une pression de chaque instant sur le gouvernement belge via des actions « à la Greenpeace ».

Pour toutes ces raisons invoquées, nous ne pouvons rester silencieux. Si ce n’est pour Ali (qui risque demain de nous quitter) ou sa sœur, qui entamait hier une grève de la faim, faisons-le au moins pour notre dignité et liberté !

(1) Ce Belgo-Marocain a été condamné au Maroc il y a quatre ans pour « appartenance à un groupe ayant l’intention de commettre des attentats terroristes » et se bat pour faire reconnaître son innocence et dénoncer les mauvais traitements dont il est la victime.

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