Utilisation de preuves médico-légales contre la torture : le cas Ali Aarrass (Posted by IRCT in Forensics – Project Work on 18/03/2013)

dans SANS CATEGORIES par

Ali AARRASS est un citoyen belgo-marocain actuellement détenu dans une prison marocaine, où il est régulièrement soumis à divers traitements inhumains et dégradants. Son calvaire débute en 2006 lorsqu’il est arrêté pour la première fois en Espagne pour trafic d’armes à destination du Maroc. Libéré une première fois sous caution, il est arrêté une seconde fois, en avril 2008, par les autorités espagnoles suite à un mandat d’arrêt international émis par le Maroc. Il est cette fois-ci accusé d’être impliqué dans des activités terroristes. Cette accusation est basée sur une liste de noms fournie sous la torture par Abdelkader Belliraj.

Cependant, après une enquête de deux ans, la justice espagnole ne trouve aucune preuve de la culpabilité d’Ali. Les autorités marocaines insisteront tout de même sur son extradition. Dans un avis provisoire du Comité des Droits de l’Homme des Nations Unies rendu à la fin 2010, il est demandé à l’Espagne ne pas procéder à l’extradition d’Ali avant un examen plus approfondi de son dossier, vu le risque qu’il court d’être soumis à la torture. Malgré une reconnaissance formelle de son innocence par la justice espagnole et un risque important qu’il soit soumis à la torture s’il est extradé vers le Maroc, l’Espagne procède tout de même à l’extradition le 14 décembre 2010. La crainte que les droits fondamentaux d’Ali soient violés s’est malheureusement réalisée.

Ali sera détenu secrètement et interrogé sous torture par la police marocaine. Il est donc non seulement victime de torture, mais également d’une violation de ses droits procéduraux. La torture constitue le moyen unique par lequel les aveux ont été obtenus. Ces aveux constituent quant à eux le fondement de son accusation dans des activités terroristes. Ali ayant rapporté avoir été victime de torture durant la période de détention provisoire par la Police marocaine, et ayant saisi le Comité contre la Torture des Nations Unies de ce fait, les autorités marocaines ont ordonné une expertise médicale. Cette expertise sera réalisée par trois médecins marocains.

L’examen ne confirmera pas les allégations de torture mais la crédibilité de l’examen médical est fortement remise en cause. En effet, le rapport médical ne parait s’appuyer sur aucun protocole issu du droit international, tel que le Protocole d’Istanbul, document indispensable à la conduite d’une expertise légale dans le cadre de l’examen d’une victime de torture et de la recherche de preuves scientifiques. Ainsi, plutôt que de contribuer à la défense d’Ali, le document lui parait fortement nuisible. Face à cette situation, les avocats d’Ali, rattachés au cabinet belge de défense des droits de l’Homme « Jus Cogens », feront appel à l’IRCT dans le cadre du projet Forensic Evidence Against Torture (FEAT).

Cette liaison entre les avocats et un expert médical indépendant, établie par l’IRCT, a permis de d’effectuer une critique étayée et approfondie de l’expertise marocaines de trois pages dans des délais très prompts. Les avocats ont ainsi pu utiliser cette « contre-expertise » devant les juridictions nationales et internationales. Le médecin a été sélectionné par les médecins experts membres du Groupe d’Experts Médico-légaux Indépendants (IFEG) initié par l’IRCT en 2008. Ce groupe est composé de professionnels de la santé hautement qualifiés et formés à la procédure médicale contenue dans le Protocole d’Istanbul. L’expert conclut formellement que le rapport ordonné par le Procureur général marocain ne répond pas aux exigences du protocole d’Istanbul. En effet, il observe que le rapport ne contient qu’une information sommaire sur l’état médical d’Ali, sans mention d’évaluation psychologique et psychiatrique. Le médecin expert demande donc, dans son rapport, qu’une nouvelle expertise médicale et psychologique soit réalisée en conformité avec le protocole d’Istanbul et par un médecin expérimenté en matière d’expertise médicale sur victimes de torture et de traitement inhumains et dégradants. En vue de donner plus d’importance et de crédibilité à cette expertise médicale auprès des autorités marocaines, une seconde contre-expertise a été réalisée par un expert marocain de l’IFEG. Celle-ci a confirmé la conclusion du rapport du premier expert international selon laquelle l’expertise réalisée par les médecins marocains n’était pas conforme au protocole d’Istanbul.

Malgré la nécessité absolue de réaliser une expertise valable fondée sur le Protocole d’Istanbul, elle n’est malheureusement pas toujours suffisante à donner gain de cause aux victimes de torture. Le cas d’Ali Aarrass en est un exemple flagrant. Malgré la production de deux expertises médicales indépendantes par des experts internationaux, la justice marocaine a complètement minimisé les allégations de torture à tous les stades du procès. Vu la mauvaise foi des autorités marocaines, il est difficile d’espérer que la condamnation à douze ans de prison d’Ali Aarrass en appel puisse rebondir sur une reconnaissance, par les instances nationales, de la torture subie au cours de ses premiers interrogatoires après son extradition au Maroc. Le Maroc ne semble pas vouloir respecter les obligations auxquelles il est contraint, plus particulièrement au regard de la Convention contre la Torture, ratifiée par l’Etat marocain en 1993. Les obligations d’enquêter et, une fois la torture constatée, de permettre la réhabilitation des victimes dans la mesure du possible ne sont pas optionnelles.

Ali Aarrass continue de subir quotidiennement des mauvais traitements, inhumains et dégradants, au sein de sa prison marocaine. Il n’hésite pourtant pas à dénoncer les traitements qu’il subit. Les nombreuses organisations, avocats et membres de la famille qui le soutiennent, et lui-même, peuvent toutefois espérer que les instances internationales rendent une décision qui reconnaîtra une violation de ses droits fondamentaux et lui offriront la possibilité d’une réhabilitation.

Laisser un commentaire

Your email address will not be published.

*