Benoit Hellings (Ecolo) interpelle Didier Reynders (MR) : « la mesure provisoire du Comité contre la Torture en faveur d’Ali Aarrass n’est-elle pas l’occasion de faire pression sur le Maroc pour mettre fin à la maltraitance de notre concitoyen? » (21 juin 2017)

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(Photo : couverture du rapport ACLU of Nevada, Nevada Disability Advocacy & Law Center, et Solitary Watch sur les effets de l’enfermement en isolement à Nevada (USA)

Commission des Relations extérieures

Réunion du 21 juin 2017 – Extrait du compte rendu intégral (CRIV 54 – COM 0695)

  • Question de M. Benoit Hellings au vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangèreset européennes, chargé de Beliris et des Institutions culturelles fédérales, sur « la situation d’un citoyen belge actuellement incarcéré au Maroc au regard d’une mesure provisoire adoptée à l’égard de ce pays et pour cette affaire par une instance de l’ONU » (n° 18210)

07.01  Benoit Hellings (Ecolo-Groen): 

Monsieur le ministre, le 21 mars dernier, j’évoquais une nouvelle fois avec vous le sort dramatique du ressortissant belge Ali Aarrass, dont Amnesty International nous avait appris qu’il était incarcéré et torturé au Maroc. Or, sept jours plus tard, et à la suite d’une requête introduite par ses avocats auprès du Comité contre la torture du Haut Commissariat aux droits de l’homme des Nations unies (CAT), celui-ci a adopté tout à fait exceptionnellement une mesure provisoire à l’égard du Maroc. Je la cite: « Conformément à l’article 114(1-3) de son Règlement intérieur, le Comité a exhorté l’État-partie à alléger le régime pénitentiaire du requérant, et à garantir ses droits en tant que détenu, de sorte à éviter tout dommage irréversible à l’intéressé sans préjudice de la décision que prendra le Comité sur le fond de l’affaire« .

Cette mesure a été prise en raison de la persistance des actes de torture, des traitements cruels, inhumains et dégradants à l’égard de notre concitoyen, alors même que le CAT constate que le Maroc a été condamné pour violation du principe d’interdiction absolue d’user en justice de preuves obtenues sous la torture. M. Aarrass serait actuellement détenu en isolement total depuis plus de six mois, sans matelas ni soins médicaux ni nourriture en suffisance – ce qui est manifestement contraire aux Mandela Rules. D’après sa famille, il a perdu près de 20 kilos depuis l’instauration de ce régime de détention particulier.

Concernant la mesure provisoire ordonnée par le CAT, la famille de M. Aarrass m’informe qu’elle n’a toujours pas été mise en œuvre par le Maroc – du moins au moment où j’ai introduit ma question, à savoir le 4 mai dernier.

D’où mes deux questions, monsieur le ministre. Cette mesure provisoire du CAT à l’égard du Maroc ne constitue-t-elle pas pour vous un moyen supplémentaire d’exercer les pressions diplomatiques nécessaires afin de mettre un terme aux maltraitances actuellement subies par notre concitoyen?

Dans votre réponse du 21 mars, vous m’avez indiqué que vous ne disposiez d’aucune possibilité d’action vis-à-vis du Maroc afin d’exercer une quelconque forme d’assistance consulaire. Vous pourriez cependant avancer aux autorités marocaines les conclusions des arrêts Nottebohm portant sur la nationalité prépondérante. Ainsi, vous auriez la possibilité de vous appuyer sur la jurisprudence de la Cour Internationale de justice pour pouvoir apporter l’assistance consulaire idoine à M. Aarrass, qui est incontestablement de nationalité belge, même s’il est également marocain. Vous pourriez dès lors, en cas de maintien du refus marocain, saisir la Cour internationale de justice. L’envisagez-vous?

La réponse de Didier Reynders.

07.02  Didier Reynders, ministre: Je voudrais tout d’abord bien préciser, monsieur Hellings, que dans tous les contacts que nous avons avec les autorités marocaines, il nous est chaque fois répondu que nous intervenons pour une personne considérée comme impliquée dans des affaires de terrorisme. Je tiens à le préciser parce que, y compris dans les contacts directs que j’ai eus avec les collègues marocains, c’est évidemment la première réponse que nous recevons.

Mes services continuent pourtant de suivre attentivement le sort de ce ressortissant belge incarcéré au Maroc. Le 19 avril dernier, la Cour de cassation du royaume du Maroc a rendu son verdict et a rejeté le pourvoi en cassation introduit par le détenu. Elle a donc validé la condamnation à douze années de prison. Vu ce verdict de la plus haute juridiction marocaine, les pourparlers se concentrent sur le régime de détention du concerné.

Comme vous venez de le souligner, le Comité contre la torture des Nations unies a demandé d’alléger son régime pénitentiaire. Aussi, le Conseil national des droits de l’homme marocain a-t-il effectué une visite d’investigation fin de l’année passée, en émettant des observations et des recommandations sur ce régime de détention. Les autorités marocaines continuent de rejeter l’activation de la protection consulaire et, donc, une visite à titre consulaire, se basant sur les dispositions de l’article 36 de la Convention de Vienne.

Nos contacts se concentrent, pour l’instant, sur la possibilité d’une visite par un représentant diplomatique du pays de la deuxième nationalité dans un cadre humanitaire. L’éventualité d’une telle visite humanitaire nous offrirait la possibilité d’un contact direct avec ce concitoyen, ainsi qu’une analyse des éléments de son régime d’incarcération.

Jusqu’à présent, je répète que nous n’avons pas obtenu ce type d’accès. Les autorités marocaines, dans un contexte international que vous connaissez, nous répondent bien entendu systématiquement que cette personne a également la nationalité marocaine et qu’elle fait l’objet d’une condamnation dans un cadre d’activités terroristes.

07.03  Benoit Hellings (Ecolo-Groen): Merci, monsieur le ministre, pour votre réponse.

Je tiens à rappeler que bien que les affaires de terrorisme soient très importantes, ce terme n’a pas la même signification dans nos démocraties, en Europe occidentale, et au Maroc. Même s’il s’agit d’être très prudent, on sait que dans certains cas, certains régimes, dont le régime marocain, on regroupe sous le vocable « terrorisme » des comportements qui sont tout autres. Il s’agit parfois d’opposants politiques, qui sont catégorisé de « terroriste ».

Ensuite, vous n’avez pas répondu à la question de la jurisprudence de la Cour internationale de justice, à savoir l’arrêt Nottebohm sur la nationalité prépondérante. Je pense que ce serait une manière d’agir, parallèlement aux initiatives que vous prenez systématiquement dans les relations bilatérales et vos relations avec votre collègue ou les services des Affaires étrangères marocaines. Je ne nie pas l’initiative que vous prenez. Mais, si jamais la situation s’aggrave – ce qui semble être le cas puisque la situation humanitaire de l’intéressé semble catastrophique  –, vous pourriez envisager ce recours devant la Cour internationale de justice en vous basant sur l’arrêt Nottebohm, qui constitue une jurisprudence importante. Il s’agit là d’un élément neuf dans cette affaire.

Je vous invite donc à la fois à maintenir la pression, comme vous le faites, mais de façon très stricte vis-à-vis du Maroc pour faire en sorte que la situation sanitaire de ce ressortissant belge ne se dégrade pas trop et, d’un autre côté, envisager éventuellement un recours comme moyen de pression politique devant la Cour internationale de justice afin d’amplifier les initiatives prises, même si on sait que le Maroc considère qu’un bi-national marocain est avant tout marocain. Et cela, nous le déplorons, comme tous les démocrates.

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