Fragments de vie carcérale (5), par Ali Aarrass

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Je vous demande de fermer vos yeux, de vous concentrer sur ces moments d’injustice où un innocent est en train de passer par toutes ces épreuves. Mettez-vous dans sa peau en vous concentrant autant que vous le pouvez !

Maintenant, dites-vous que ceci aurait pu arriver à l’un de vos proches bien aimés, ou alors à vous-même.

Et dites-vous que justice sera faite un jour. Comment vous sentez-vous là, maintenant après avoir ouvert les yeux ?

Moi, je me suis senti fort de corps et d’esprit…

Bon, je reviens sur la différence entre les isolements en Espagne et au Maroc.

En Espagne, dans chaque prison où j’ai été transféré, j’ai reçu dès mon arrivée mes accessoires sanitaires : couverts, couvertures propres, j’avais le droit de voir le médecin tous les jours, de prendre une douche, d’appeler au téléphone, de sortir à la cour, donc aucun de mes droits fondamentaux ne mettait refuser ! Attention, ne croyez surtout pas que je logeais dans un « cinq étoiles ». Non ! Mais plutôt en isolement sensoriel. Car la torture psychologique était présente tout le temps. Je sentais la différence quand je sortais à la cour pour une heure après avoir été enfermé en cellule durant 23 heures, croyez-moi, je n’avais pas envie de retourner en cellule et d’être privé de ce moment en semi-liberté et de cette occasion de voir le ciel en forme de carré et d’être privé d’un peu d’oxygène!

 Et physiquement, si tu commences à être dangereux pour les prisonniers ou contre les gardes, ils viendront te chercher pour te mettre dans un angle mort hors caméra. Après s’être acharné contre toi, ils t’enverront au cachot pour 45 jours, puis tu seras transféré dans une autre prison sous un régime carcéral plus dur que le précédent ! Il était inutile de te montrer le plus fort, surtout si tu avais tort !

Donc, vous voyez la différence entre un isolement au Maroc et en Espagne ? Au Maroc, ils m’ont privé de dentifrice et de brosse à dents, et cela durant cinq mois !

Je vous laisse imaginer le grand plaisir que j’ai pris en me brossant les dents, quand ils m’ont restitué ce droit ! Leur argument est la « sécurité » de peur que des prisonniers n’en fassent un instrument pointu pour agresser quelqu’un. Voilà la seule raison pour m’avoir privé de ce droit durant cinq mois !

Je vous rappelle qu’en Espagne, les deux ans et neuf mois dans les isolements de haute sécurité, jamais je n’en ai été privé !

Ceci n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. C’est vous dire aussi que malgré les formations que l’Amérique et l’Europe font au Maroc pour améliorer les conditions « sécuritaires », elles ne sont pas respectées, car leur tradition et leur méthode de langue de bois et de bras de fer les empêchent de s’en débarrasser ! Ils ont ceci dans le sang, le savoir-faire pour terroriser, humilier, affamer, rendre l’humain comme une bête ou un zombie bourré de drogue et de médication. Voilà ce qu’ils veulent faire de nous et c’est pareil à l’extérieur des prisons, dans la société et la population marocaines, la répression, rien d’autre que la répression !

Maintenant faisons un détour par les premiers cinq mois d’isolement sensoriel au Maroc.

Je suis témoin de l’arrivée des nouveaux prisonniers ; cela leur à pris toute une nuit. De bon matin, d’autres sont arrivés dans mon quartier. Quelques heures plus tard, j’ai entendu un maton dire au prisonnier de s’approcher de la porte de sa cellule pour lui poser des questions suivantes : « Tu es Marocain ou Sahraoui ? ».

Le prisonnier lui répond: je suis Sahraoui. Du coup, le maton s’énerve, le prend par son cou et commence à le frapper en l’insultant, en lui crachant au visage. Quelques jours après, il parle avec un gardien, pour lui dire qu’il attend la visite de sa famille et qu’elle devait venir du sud-est. Quand j’ai commencé à réfléchir, j’ai compris de qui il pouvait s’agir et je me suis souvenu : c’était début décembre 2010, avant mon extradition au Maroc. Depuis ma cellule de la prison de Valdemoro à Madrid, les nouvelles à la radio parlaient de manifestations dans le sud-est. Là où il y a de nombreuses arrestations de militants Sahraouis qui veulent l’indépendance du Sahara occidental. Oui J’ai été témoin, à la télé comme tout le monde, de ce qui s’est passé avant leur arrestation, mais aussi des tortures qui leur sont réservées car ils ont bien été torturés! Lors de leur incarcération à Salé ll, début janvier 2011, ils étaient une vingtaine, du camp de Gdeim Izik.

Ils les ont séparés dans toute la prison et isolés, comme moi. J’entends dans mon quartier venir les tortionnaires et les maltraiter dans leurs cellules. Je pouvais les entendre !

Au début de mon dépôt à Salé ll, mes repas étaient servis par des matons. Je m’étais dit que ce n’était pas du tout normal que je sois privé de mes droits fondamentaux et qu’en plus je ne sois pas servi par d’autres prisonniers, comme en Espagne. On voulait nous faire croire qu’on était encore au centre secret de Temara ! Coupé du monde, torturé, électrocuté, maltraité, violé, humilié, insulté, couvert de crachats et d’urine…

Donc obligé de croire, avec ces conditions de détention inhumaines, qu’on était kidnappé et que personne ne savait où on était !

Je dois reconnaître qu’au moment où le quartier commence à se remplir, je me suis senti plus en sécurité. C’est là que le côté humain joue son rôle! Là, vous comprenez que l’isolement dans n’importe quel pays dans le monde, est et restera une torture, mais surtout où Maroc ! L’une des raisons étant que certains matons, qui exécutent les ordres, étaient sous la contrainte. Je comprends, mais cela ne m’empêche pas de les affronter et de leur faire savoir qu’ils doivent faire leur boulot sans maltraiter les prisonniers. Mon but étant de leur rappeler que nous sommes tous des humains, et que bientôt justice sera faite. Je voulais les sensibiliser et leur dire que je comprenais qu’ils étaient sous la contrainte : mal payés, sans couverture sociale, certains sans moyens de transport, et l’emploi du temps avec des horaires de travail impossible etc. Certains parmi eux commencent à avoir de l’empathie et de la confiance, j’ai remarqué cela dans leur traitement à mon égard. Je savais qu’il était nécessaire d’acquérir la confiance des gardiens censés êtres là pour servir notre quartier …

Sachez bien que cela m’a demandé beaucoup de patience car, à chaque arrivée d’un nouveau gardien qui venait comme un félin, il fallait à nouveau lui couper les griffes …

Il était important de leur faire savoir qu’il y a des limites à ne pas dépasser, tant pour moi que pour eux-mêmes.

Je leur ai fait savoir qu’en France les matons ont droit une fois par mois à une consultation psychologique chez un médecin spécialisé. Et que ceci n’existe pas au Maroc !

Je savais que ce genre de conversation les mettait mal à l’aise. Ils étaient beaucoup moins informés que moi sur le sujet ! Une fois de plus, j’ai leur faisais savoir qu’ils étaient privés eux aussi des droits, et c’est l’une de raison pour lesquelles vous devenez des matons sans état d’âme, dans le cadre de vos fonctions ; à long terme vous devenez violent et vous vous acharnez contre nous !

J’ai remarqué que certains ont été blessés dans leur orgueil, mais oser leur parler dans de moments propices les faisait réfléchir. Parce qu’ils n’ont pas l’habitude de telles conversations et moins encore venant d’un prisonnier.

Je savais qu’en étant isolés, ils pouvaient m’écouter mieux sans que nous soyons interrompus.

Certains parmi vous se poseront la question. Était-il nécessaire de parler à des gardiens prêts à exécuter des ordres des leurs supérieurs contre d’autres prisonniers ? La réponse est que je savais que je pouvais gagner la confiance de certains gardiens dans le but d’imposer le respect de chaque personne. J’ai toujours tout fait pour me faire respecter, sans rien leur donner en échange. Aussi pour me tenir informé des nouvelles à l’extérieur et à l’intérieur de la prison. Tout ceci m’a demandé beaucoup de temps afin de conquérir ma place dans un endroit fermé, isolé et coupé du monde !

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