Fragments de vie carcérale (6), par Ali Aarrass

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Beaucoup diront que les prisonniers d’aujourd’hui au Maroc, vivent dans le « luxe ».

J’aimerais bien qu’ils passent deux à trois jours enfermés chez eux, mais alors sans bonne nourriture, ni sucreries, ni téléphone, ni télévision, ni radio, ni eau chaude, ni personne à qui parler !

Pour moi, le luxe, c’était d’avoir un bout de crayon et un morceau de papier pour dénoncer les tortures abjectes et les privations de nos droits ! Il m’était interdit d’avoir cela dans ma cellule.

Je me rappelle la première fois qu’on m’a fait passer chez le médecin, après tout ces long mois de privation. J’étais malade et très faible, sans forces, du coup j’ai vu un crayon sur la table qui était censé être son bureau sans réfléchir je l’ai pris discrètement et je l’ai caché !

Avant, je pensais écrire avec mon sang, s’il le fallait, pour dénoncer les tortionnaires et les tortures.

Ce crayon, je l’ai coupé en trois morceaux et je les ai partagés avec deux autres prisonniers.

C’était aussi un luxe d’avoir un coupe-ongle. Mes ongles, je les frottais au sol en gravier !

Voilà le luxe dans l’isolement au Maroc !

C’était aussi un luxe de n’avoir ni vêtements de rechange, ni sous-vêtements. Tout m’était confisqué ! Comme c’était aussi un » luxe », de me laver avec de l’eau très froide ! Au Maroc, il faisait un froid terrible en hiver.

Pour justifier ces conditions de vie inhumaine, il n’y avait qu’un seul mot, tout simplement le mot discipline !

Cela voulait dire qu’il nous était interdit de parler, de manifester, de dénoncer les conditions de détention! En bref, nous tenir et faire de nous des robots!

Mais , pas de chance pour eux, la discipline était en moi depuis mon enfance !

Les nuits étaient plus longues que les journées. C’était le moment où je commençais à réfléchir plus longuement. Toute ma vie défilait dans le noir total.

Des nuits sans pouvoir fermer les yeux, des moments agréables et inoubliables de mon enfance, mon adolescence, des moments de folie, avant de rejoindre ma maman à Bruxelles depuis ma ville natale de Melilla. En sachant que j’allais la quitter, mon cœur s’était brisé en deux, car j’allais laisser derrière moi mon papa et ma grand-mère, celle que j’ai toujours aimée. Malgré toutes les injustices, les épreuves des années d’emprisonnement, j’ai gardé l’espoir de pouvoir un jour les retrouver… Avec le temps, une chose fondamentale m’a aidé à résister. Celle de me répéter : « Ali, il y a-t-il encore des choses dans la vie auxquelles tu n’as pas encore goûté ? » Savoir qu’un jour je serais libéré et pourrais revivre à nouveau me donnait une force inébranlable.

Quelques jours après l’arrivée de ces  Sahraouis, dans ma cellule, j’ai senti des odeurs de fumée de cigarette. Je suis monté sur le lavabo encastré dans le mur pour attirer l’attention du fumeur.

C’était l’un des  Sahraouis et directement il s’est excusé. Je ne voulais pas en rester là et j’ai ajouté : «  Comment est-il possible que des hommes comme vous, militants, combattants, qui avez affronté ce régime criminel, dictateur et qui êtes restés avec vos principes afin de pouvoir récupérer vos terres, qui vous retrouvez aujourd’hui dans ces conditions inhumaines, comment est-il possible que vpus soyez vaincus par un morceau de cigarette ? »

Là, c’était le silence, sans commentaire… Comme je lui avais parlé en français, j’étais certain qu’il m’avait compris.

Le jour d’après, le soir tombé, il appelle celui qui lui a parlé la veille sur la cigarette ! Je lui dis : Oui, c’était bien moi. Il m’a remercié pour ce conseil. Pour terminer il ajoute qu’ à partir d’aujourd’hui il ne fumait plus… J’ai ajouté qu’il était libre de son choix. Mais il faut savoir qu’ils seront condamnés, et pour bien longtemps. Donc pourquoi choisir une mort lente en prison !

À son tour de me poser une question. Qui étais-je ? Il voulait savoir à qui il avait parlé.

Je me suis présenté, sans tarder il m’avait reconnu. Je dois dire qu’il m’avait surpris. J’ignorais que mon affaire était connue aussi par des Sahraouis !

En Espagne, j’ai appris à ne m’attacher à aucun prisonnier. Avec le temps on m’a enseigné qu’en isolement sensoriel, l’une des tortures, c’est quand tu commences à côtoyer un détenu et t’habitues à lui, ils viendront soit le changer de quartier ou alors le transférer dans une autre prison. Croyez-moi, j’ai été maître de moi-même, de mes sentiments, durant 12 ans j’en ai vu des prisonniers politiques et d’opinion défiler sous mes yeux.

Leur but étant de nous déshumaniser dans l’isolement et faire de nous des êtres abandonnés, écartés d’autres êtres humains. Aujourd’hui encore, je n’arrive pas à oublier ces hommes courageux, qui ont réussi à se faire une place en Isolement. J’étais inspiré par Nelson Mandela:

La sagesse, l’intelligence, le courage, la persévérance, l’humilité, la modestie, la dignité…

D’autres aussi que j’ai laissés derrière moi, j’aurai l’occasion d’en parler.

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