Communiqué 9 mars : « Didier Reynders ou la realpolitik à tout prix » (par le Cabinet d’avocats Jus Cogens)

dans COMMUNIQUES DE PRESSE par

Reynders avec Saad Dine el OtmaniCABINET D’AVOCATS JUS COGENS : Me Dounia ALAMAT (GSM : 32.484.65.13.74 ;da@juscogens.be) – Me Nicolas COHEN (GSM : 32.470.02.65.41 ; nc@juscogens.be) – Me Christophe MARCHAND (GSM: 32.486.32.22.88 ; cm@juscogens.be)

 Bruxelles, 9 mars 2016 

 Affaire Ali AARRASS : « Didier REYNDERS ou la Realpolitik à tout prix »

 Le parlement belge est actuellement en train de discuter d’une loi portant assentiment à la « Convention de coopération entre le gouvernement du royaume de Belgique et le gouvernement du Royaume du Maroc en matière de lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme ».

Dans ce cadre, Monsieur REYNDERS, répondant à une interpellation du Député HELLINGS, a déclaré au sujet d’Ali AARRASS :

« Il s’agit d’une personne qui, dans le passé, a été extradée par l’Espagne vers le Maroc où il est toujours incarcéré. Il bénéficie de l’assistance consulaire belge. Les autorités marocaines répondent systématiquement aux différentes démarches belges que l’intéressé a été condamné pour diffusion de propagande islamique, pour participation à un réseau de combattants étrangers pour l’Irak et à des livraisons d’armes. Grâce aux efforts déployés par le consulat belge, la Commission marocaine pour les droits de l’homme a pu rendre visite à l’intéressé toutes les semaines. Rien n’indique que le condamné ait été torturé par les services marocains »[1].

Cette réponse est scandaleuse. Quelle honte de la part de celui-là même qui est censé assurer la protection des ressortissants belges en danger à l’étranger !

Premièrement, il est totalement inexact de prétendre que Monsieur AARRASS « bénéficie de l’assistance consulaire belge ». Il n’a jamais reçu la visite du Consul belge à Rabat. Le Ministre a été condamné par la Cour d’appel de Bruxelles pour son inaction mais les autorités belges ne font rien d’efficace pour pouvoir rencontrer leur ressortissant. Le Ministre pourrait pourtant exiger du Maroc, au regard du droit international, d’exercer ses compétences consulaires[2].

Deuxièmement, il n’y pas de Commission marocaine pour les droits de l’homme mais bien un Conseil national des droits de l’homme au Maroc. Cet organe n’est pas indépendant. Il ne visite pas hebdomadairement Monsieur AARRASS et ne lui a été d’aucune utilité. Les promesses faites suite à ses grèves de la faim n’ont jamais été respectées !

Troisièmement, si le Ministre des Affaires étrangère fait allusion à la condamnation au Maroc, il sait pertinemment que, pour la même affaire, la justice espagnole a innocenté Ali AARRASS. Il sait également que ce dossier est une suite du « dossier BELLIRAJ », dont l’inéquité de la procédure devant les juridictions marocaines a été largement dénoncée par les ONG[3].

Quatrièmement et plus fondamentalement, le Ministre ment lorsqu’il dit « rien n’indique que le condamné ait été torturé par les services marocains ».

Le Rapporteur spécial contre la torture des Nations Unis, Juan MENDEZ, a visité Monsieur AARRASS en septembre 2012, accompagné d’un médecin expert en matière d’évaluation des séquelles de la torture. Il a constaté :

« Le médecin légiste a conclu que la plupart des traces observées, bien que non diagnostiquées comme signes de torture, sont clairement compatibles avec les allégations présentées par M. Aarrass, à savoir le genre de torture et de mauvais traitements infligés, tels que brûlures occasionnées par une cigarette, pratique du «falanja » (coups assenés sur la plante des deux pieds), attachement intense puis suspension par les poignets et électrochocs aux testicules. En outre, il a constaté que la description faite par M. Aarrass des symptômes ressentis après les épisodes d’actes de torture et de mauvais traitements esttotalement compatible avec les allégations et que le genre de pratiques décrites et les méthodologies qui auraient été suivis par les agents pratiquant ces actes, coïncident avec les descriptions et les allégations présentées par d’autres témoignages que le Rapporteur spécial a reçus dans d’autres lieux de détention et qui ne sont pas connus de M. Aarrass » (nous soulignons).

Le Comité contre la torture a reconnu que le Maroc n’avait pas respecté son obligation d’enquêter de manière indépendante, approfondie et impartiale sur les allégations de torture de Monsieur AARRASS. Ce Comité a également constaté que Monsieur AARRASS avait été condamné sur base d’aveux obtenus sous la torture[4].

Enfin, une vidéo, toujours disponible sur internet, montre les multiples hématomes sur le corps de Monsieur AARRASS après son passage à tabac suite à sa dénonciation des mauvais traitements au Rapporteur spécial contre la torture[5].

Que faut-il de plus au Ministre des Affaires étrangères ?

Une reconnaissance de l’usage systématique de la torture au Maroc par une Juridiction internationale ?

Il est servi ! La Cour européenne des droits de l’homme confirme ce fait, sur base de très nombreux rapport d’ONG, depuis 2010 : affaire Boutagni c. France (18/11/2010), affaire Rafaa c. France (30/05/2013), affaire Ouabour c. Belgique (02/06/2015).

Notre Ministre ignore-t-il que la Cour européenne des droits de l’homme a constaté qu’il y avait eu déni flagrant de justice en Belgique lorsque nos juridictions ont accepté de faire usage de déclarations faites au Maroc dans des dossiers de terrorisme ?

C’est pourtant le cas[6] !

A l’heure de discuter du renforcement de la coopération judiciaire entre la Belgique et le Maroc, il n’est pas permis de fermer les yeux sur les violations flagrantes et systématiques des droits fondamentaux des personnes par cet Etat, ni de nier le calvaire d’un Belge.

Un peu de respect, s’il vous plait, pour nos institutions et nos concitoyens.

[1] Chambre des représentants, 25 février 2016, « Projet de loi portant assentiment à la Convention de coopération entre le gouvernement du Royaume de Belgique et le gouvernement du Royaume du Maroc en matière de lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme, faite à Bruxelles le 18 février », 2014DOC 54 1646/002, p. 7

[2] Dès 1es années 1950, la Cour Internationale de Justice a considéré que :

« Selon la pratique des Etats, les décisions arbitrales et judiciaires et les opinions doctrinales, la nationalité est un lien juridique, ayant à sa base un fait social de rattachement, une solidarité effective d’existence, d’intérêts, de sentiments, jointe à une réciprocité de droits et devoirs… Conférés par un Etat, elle ne lui donne titre à l’exercice de la protection vis-à-vis d’un autre Etat que si elle est la traduction en termes juridiques de l’attachement de l’individu considéré à l’Etat qui en a fait son national » (Madeleine GRAWITZ, « Arrêts Nottebohm du 18 novembre 1953 (compétence) et du 6 avril 1955 (fond) », in Annuaire français de droit international, volume I, 1995, p. 26)

Dans une sentence du 10 juin 1955, la Commission de conciliation italo-américaine a également confirmé que : « le principe, fondé sur l’égalité souveraine des Etats, qui exclut la protection diplomatique en cas de double nationalité doit céder devant celui de la nationalité effective toutes les fois que cette nationalité est celle de l’Etat requérant mais il ne doit pas céder quand une telle prédominance n’est pas prouvée » (Daniel-Henri VIGNES, « Commission de conciliation italo-américaine, sentence du 10 juin 1955 : affaire Florence Mergé », in Annuaire français de droit international, volume II, 1956, p. 433).

[3] Voir notamment : Commission arabe des droits humains, « Rapport d’observation du procès des six détenus politiques au Maroc – Affaire Belliraj », 10/12/2009 ; Human Rights Watch, « Stop Looking for your Son », octobre 2010

[4] CAT, Affaire AARRASS c. Maroc, communication 477/2011

[5] https://www.rtbf.be/video/detail_ali-aarrass-malmene-et-torture?id=2048443

[6] CEDH, affaire EL HASKI c. Belgique, 25 septembre 2012, disponible sur hudoc

Laisser un commentaire

Your email address will not be published.

*