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Fragments de vie carcérale 8 , par Ali Aarrass

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Permettez-moi de vous aider à trouver quelques raisons pour comprendre le comportement des matons : 1- La peur. 2- La méfiance. 3- La routine. 4- Les états d’âme… Je vous laisse en ajouter d’autres ou laisser un commentaire.

Il y a la peur d’être surpris, d’avoir de l’empathie avec les détenus et de perdre son emploi ! La méfiance vis-à-vis des prisonniers, qui peuvent être menacés par les autorités, qui peuvent leurs faire du chantage, et qui finiront par mettre le gardien en danger. La routine, d’avoir l’habitude de « travailler » en maltraitant, en torturant, puis il rentre chez lui comme s’il n’avait rien fait de mal. L’état d’âme prêt à donner corps et âme pour ses subordonnes, aveuglé des yeux et du cœur, aucun civisme, ni pitié, capable de rester dans un poste qu’ils lui ont désigné dans n’importe quel domaine et endroit, de résister à n’importe quelle condition et de faire face.

Aujourd’hui, libre, en regardant cet immense espace devant moi, avec des humains, enfin solidaires, conscients, audacieux, admirables et adorables… Là, je me rends compte où j’étais durant ces douze années, où le néant règne et auquel il a fallu faire face chaque jour !

Je vous demande d’écouter, écouter les cris des opprimés, des humiliés, entre ces quatre maudits murs. Dans le noir, ils nous demandent de l’aide contre les oppresseurs. Nous devons manifester la solidarité, l’amour pour cet humain. Nous ne devons pas craindre le silence du pays. Nous devons le traduire dans notre langage. D’autres sont ignorants et inconscients de la réalité de ces crimes. Je leur dis, mais depuis quand avez-vous les yeux dans le dos ?

Que fais-tu de l’être humain ? Avons-nous tous besoin d’une sage-femme pour accoucher ?

Voici l’une de réalité de la vie humaine. Un bébé ne peut pas retourner dans le sein de sa maman, quand la vie lui devient trop pénible ! Avant d’être kidnappé, dans le miroir, je me voyais vieillir. Dans la vie carcérale sans miroir, je me voyais avant que les autres me voient et me jugent. À savoir que nous finirons tous un jour par découvrir une île inexplorée, elle le restera toujours (la tombe).

Je me rappelle qu’à l’âge de dix ans, j’avais suivi un cortège de funérailles au cimetière de ma ville natale (Melilla) pour l’enterrement d’un voisin espagnol, j’étais impacté de voir mon voisin sous terre et enterré !

Que peut-on dire aujourd’hui de tous ces enfants partout dans le monde, traumatisés, terrorisés et affamés sans leurs parents, condamnés à rester seuls… Si cette image de mon voisin enterré, que je n’arrive pas à oublier, me revient encore après plus de quarante ans, je vous laisse imaginer les enfants dans quel état psychique ils doivent être. Moi non plus, je n’arrive pas à me débarrasser des tortures qu’ils m’ont infligées.

En cellule, je commence à sentir la fin des travaux, de moins en moins de bruit, les caméras étaient installées et testées. Tout ceci donne l’espoir de voir le bout du tunnel. Mais rien ne se présentait pour nous annoncer la fin de privations de nos droits fondamentaux, rien !

Depuis tout ce temps passé en isolement en Espagne et au Maroc, la négligence et la non-considération de l’être humain étaient identiques. C’est comme le menuisier qui fredonne de la même façon en fabriquant un rebec ou un cercueil !

Ma lune de miel des douze années est terminée. Maintenant il faut passer à l’étape suivante du combat, avec de la patience et beaucoup de sagesse. La récolte sera très bonne…

Revenons aux isolements.

En Espagne, d’une prison à l’autre précisément à Algeciras (Botafuegos ), je devais attendre la décision de la justice et la procédure était très longue.

En parallèle j’avais écrit à l’ambassade belge à Madrid, c’était mon quatrième courrier, mais en vain. C’est à partir de ce moment que j’ai commencé à me poser des questions. Pourquoi tant d’injustices ici, mon enlèvement, l’insalubrité sinistre des prisons en isolement. Mon transfert dans cette prison était fait pour faciliter les visites de ma famille. Le climat était aussi très bon, contrairement à Madrid.

Dès mon arrivée, après toutes les formalités et l’installation dans ma cellule, la porte blindée s’est ouverte d’un coup et trois gardiens étaient là, prêts á me faire sortir à la cour. Une fois qu’ils ont terminé la fouille corporelle, l’un d’eux m’a dit : « Ali , tu vas sortir à la cour en compagnie d’autres prisonniers, tu es d’accord ? »

Je ne m’attendais pas à ce qu’ils me le proposent et demandent mon accord. J’ai répondu que s’ils veillent sur ma sécurité, il n’y avait pas de problème pour moi. Un autre me répond, « ici on sait bien faire notre travail, tu n’as pas à t’inquiéter ». Ceci signifie qu’ils étaient prêts à intervenir, on était sous surveillance constante. La grande porte qui donne vers la cour s’ouvre, je vois cinq prisonniers s’approcher pour me saluer et, sans tarder, ils m’offrent à boire un café de la cantine juste à côté de la cour…

C’est bien la première fois que je suis sorti avec autant de détenus, six mois après mon enlèvement. Une règle en prison était de se montrer solidaire avec les nouveaux arrivés, de ne pas leur poser des questions, d’attendre qu’ils soient à l’aise pour raconter sans obligation le pourquoi de leur arrestation. En isolement, les détenus sont très vite dévoilés. Par-contre, dans les quartiers des droits communs où la surpopulation fait ravage, il est difficile de savoir qui est qui. Sauf si les gardiens veulent divulguer qui est pédophile, violeur et d’autres cas d’abus.

Alors je vous laisse imaginer l’enfer et comment il serait reçu par d’autres prisonniers qui n’ont rien à perdre. Je me rappelle un prisonnier isolé totalement à la frontière avec le Portugal en Espagne (Badajoz). Celui-ci, durant les quatre mois que j’ai passés là-bas, sortait seul, parce qu’il avait tué des vieilles dames dans leur ascenseur. Il avait fait la une des journaux et à la télévision. Ces prisonniers, ils avaient bien l’intérêt à rester isolés, car ils risquent l’impasse.

Des histoires comme celles-ci se répètent souvent en Espagne. Tout le contraire des prisons du Maroc ! Ce qui était dégoûtant, c’était de voir des violeurs d’enfants et ceux qui les ont maltraités et tué leur femme, être reçus avec des embrassades, c’était l’hypocrisie totale. Cette scène m’avait choqué. La moindre des choses était de les affronter afin qu’ils les changent de quartier ! Quand tu lui en fais la remarque, hypocritement, il te répond qu’ici on est tous égaux. Ne pensait-il pas à la victime qui aurait pu être l’une de sa famille ?

Fragments de vie carcérale (6), par Ali Aarrass

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Beaucoup diront que les prisonniers d’aujourd’hui au Maroc, vivent dans le « luxe ».

J’aimerais bien qu’ils passent deux à trois jours enfermés chez eux, mais alors sans bonne nourriture, ni sucreries, ni téléphone, ni télévision, ni radio, ni eau chaude, ni personne à qui parler !

Pour moi, le luxe, c’était d’avoir un bout de crayon et un morceau de papier pour dénoncer les tortures abjectes et les privations de nos droits ! Il m’était interdit d’avoir cela dans ma cellule.

Je me rappelle la première fois qu’on m’a fait passer chez le médecin, après tout ces long mois de privation. J’étais malade et très faible, sans forces, du coup j’ai vu un crayon sur la table qui était censé être son bureau sans réfléchir je l’ai pris discrètement et je l’ai caché !

Avant, je pensais écrire avec mon sang, s’il le fallait, pour dénoncer les tortionnaires et les tortures.

Ce crayon, je l’ai coupé en trois morceaux et je les ai partagés avec deux autres prisonniers.

C’était aussi un luxe d’avoir un coupe-ongle. Mes ongles, je les frottais au sol en gravier !

Voilà le luxe dans l’isolement au Maroc !

C’était aussi un luxe de n’avoir ni vêtements de rechange, ni sous-vêtements. Tout m’était confisqué ! Comme c’était aussi un » luxe », de me laver avec de l’eau très froide ! Au Maroc, il faisait un froid terrible en hiver.

Pour justifier ces conditions de vie inhumaine, il n’y avait qu’un seul mot, tout simplement le mot discipline !

Cela voulait dire qu’il nous était interdit de parler, de manifester, de dénoncer les conditions de détention! En bref, nous tenir et faire de nous des robots!

Mais , pas de chance pour eux, la discipline était en moi depuis mon enfance !

Les nuits étaient plus longues que les journées. C’était le moment où je commençais à réfléchir plus longuement. Toute ma vie défilait dans le noir total.

Des nuits sans pouvoir fermer les yeux, des moments agréables et inoubliables de mon enfance, mon adolescence, des moments de folie, avant de rejoindre ma maman à Bruxelles depuis ma ville natale de Melilla. En sachant que j’allais la quitter, mon cœur s’était brisé en deux, car j’allais laisser derrière moi mon papa et ma grand-mère, celle que j’ai toujours aimée. Malgré toutes les injustices, les épreuves des années d’emprisonnement, j’ai gardé l’espoir de pouvoir un jour les retrouver… Avec le temps, une chose fondamentale m’a aidé à résister. Celle de me répéter : « Ali, il y a-t-il encore des choses dans la vie auxquelles tu n’as pas encore goûté ? » Savoir qu’un jour je serais libéré et pourrais revivre à nouveau me donnait une force inébranlable.

Quelques jours après l’arrivée de ces  Sahraouis, dans ma cellule, j’ai senti des odeurs de fumée de cigarette. Je suis monté sur le lavabo encastré dans le mur pour attirer l’attention du fumeur.

C’était l’un des  Sahraouis et directement il s’est excusé. Je ne voulais pas en rester là et j’ai ajouté : «  Comment est-il possible que des hommes comme vous, militants, combattants, qui avez affronté ce régime criminel, dictateur et qui êtes restés avec vos principes afin de pouvoir récupérer vos terres, qui vous retrouvez aujourd’hui dans ces conditions inhumaines, comment est-il possible que vpus soyez vaincus par un morceau de cigarette ? »

Là, c’était le silence, sans commentaire… Comme je lui avais parlé en français, j’étais certain qu’il m’avait compris.

Le jour d’après, le soir tombé, il appelle celui qui lui a parlé la veille sur la cigarette ! Je lui dis : Oui, c’était bien moi. Il m’a remercié pour ce conseil. Pour terminer il ajoute qu’ à partir d’aujourd’hui il ne fumait plus… J’ai ajouté qu’il était libre de son choix. Mais il faut savoir qu’ils seront condamnés, et pour bien longtemps. Donc pourquoi choisir une mort lente en prison !

À son tour de me poser une question. Qui étais-je ? Il voulait savoir à qui il avait parlé.

Je me suis présenté, sans tarder il m’avait reconnu. Je dois dire qu’il m’avait surpris. J’ignorais que mon affaire était connue aussi par des Sahraouis !

En Espagne, j’ai appris à ne m’attacher à aucun prisonnier. Avec le temps on m’a enseigné qu’en isolement sensoriel, l’une des tortures, c’est quand tu commences à côtoyer un détenu et t’habitues à lui, ils viendront soit le changer de quartier ou alors le transférer dans une autre prison. Croyez-moi, j’ai été maître de moi-même, de mes sentiments, durant 12 ans j’en ai vu des prisonniers politiques et d’opinion défiler sous mes yeux.

Leur but étant de nous déshumaniser dans l’isolement et faire de nous des êtres abandonnés, écartés d’autres êtres humains. Aujourd’hui encore, je n’arrive pas à oublier ces hommes courageux, qui ont réussi à se faire une place en Isolement. J’étais inspiré par Nelson Mandela:

La sagesse, l’intelligence, le courage, la persévérance, l’humilité, la modestie, la dignité…

D’autres aussi que j’ai laissés derrière moi, j’aurai l’occasion d’en parler.

Fragments de vie carcérale (1), par Ali Aarrass

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Salam je suis prêt…
La première question après mon emprisonnement était : pourquoi moi ? Pourquoi pas quelqu’un d’autre ?
C’est la pièce du puzzle que je n’ai pas encore trouvée ! Même sur les tortures abjectes au centre secret de Temara, je n’ai pas trouvé la réponse à mon puzzle !

L’espoir ne m’a jamais quitté, je me disais que tôt au tard je saurais la vérité…
Malgré l’isolement en Espagne, et aussi malgré qu’à ce moment, je n’avais pas encore été condamné ni extradé au Maroc, l’espoir était là !
J’aimerais que le monde sache que le mot espoir était ma force inébranlable et cela malgré toutes les violations : mon arrestation arbitraire, mon extradition forcée, les tortures abjectes, puis condamné à être jeté en prison comme un criminel…

L’isolement, c’est le silence total, l’insalubrité, l’obscurité, l’humidité, la faim, la coupure du monde extérieur, la censure, la perte de la notion du temps, la négation et la privation de droits fondamentaux, le KO. Il me fallait être fortement convaincu et conscient de mon innocence et surtout je devais me fixer un objectif, je savais que j’étais une victime et que bientôt justice serait bien faite…

Je me rappelle qu’une nuit en dormant je mâchais quelque chose que je n’arrivais pas à avaler, c’était ma couverture… Preuve de la faim qui me tenaillait. Je m’étais enfermé sur moi-même pour leur montrer mon refus de toutes les injustices qu’ils m’ont infligées. Pour manifester cela, je renonçais à sortir, que ce soir dans la cour ou pour la douche, je devais leur démontrer depuis le début que j’étais innocent.

Le régime carcéral a toujours la possibilité de faire pression sur toi pour te faire changer d’avis. Ils n’aiment pas ceux qui renoncent à leurs droits et moins encore ceux qui entament une grève de la faim.

La nourriture était immangeable, j’étais forcé de la manger pour survivre, je devais rester debout pour me sortir de cette épreuve infernale !

Aussi, par la fenêtre on m’a conseillé de ne jamais montrer mon point faible au maton, ceci afin qu’il n’abuse pas de moi moralement.
Provocation et intimidation : coupure de l’eau dans ma cellule et changement de cellule plus insalubre encore que la précédente.
J’ai compris que la prison, soit elle te brise moralement et physiquement, soit elle te renforce ! Le régime carcéral se fera un plaisir de te rabaisser, de te déshumaniser et de te faire perdre ta dignité d’homme.

Bien sûr, lorsque tu n’as ni culture ni conviction ni personnalité à toi, alors tu deviens une proie facile.
On m’a toujours dit que j’étais têtu. Je n’avais pas compris !

La VOZ de ASTURIAS : Historia de ALI (un articulo de opinion de Gonzolo Olmos, 1/06/2021)

dans DANS LA PRESSE/ORGANISATIONS POUR LES DROITS DE L'HOMME / FOR HUMAN RIGHTS/TORTURE par

SOURCE

La televisión belga RTBF ha producido un valiente documental sobre la historia de Ali Aarrass, en su colección Témoignages (Testimonios), que pueden ver en la web y redes de esta cadena y que bien merece la atención del público español.

Porque la desdichada peripecia de Ali tiene mucho que ver con las responsabilidades e incumplimientos de España respecto de las obligaciones internacionales adquiridas en materia de derechos civiles, sumadas a las de Bélgica y Marruecos, el Estado ejecutor de las graves violaciones de derechos humanos padecidas por Ali, aún sin verdadera investigación oficial ni depuración de responsabilidades.

Aunque originariamente de nacionalidad marroquí, Ali es en buena medida melillense por haber vivido allí en su infancia, y belga por los 28 años transcurridos posteriormente en el país europeo, adquiriendo dicha nacionalidad en 1989, incluso prestando el servicio militar y desarrollando allí una buena parte de su vida. De vuelta a sus raíces melillenses en 2005, comenzó su pesadilla, al aparecer su nombre en investigaciones sobre grupos terroristas islamistas. No se formuló ninguna clase de acusación frente a él en España, pero, en 2008, fue detenido a instancias de las autoridades marroquíes, y extraditado al país vecino. Se autorizó la entrega con base en la sacrosanta cooperación antiterrorista, pese a la ausencia de evidencias sólidas en contra de Ali y a despecho de las advertencias del Comité de Derechos Humanos de la Organización de las Naciones Unidas (ONU), que había manifestado que corría riesgo de sufrir tortura en Marruecos. Ali Aarrass denunció que había sido sometido a torturas u otros malos tratos bajo custodia entre el 14 y el 24 de diciembre de 2010, hechos que volvieron a producirse posteriormente ya en prisión. Las autoridades marroquíes nunca investigaron adecuadamente sus denuncias de palizas, descargas, violación con objetos, ahogamiento, mantenimiento colgado de las muñecas durante horas, etc. Un vídeo grabado clandestinamente en prisión muestra, de hecho, las reveladoras marcas de la brutalidad en el cuerpo de Ali. El 19 de noviembre de 2011, sin más base que unas declaraciones obtenidas mediante tortura, fue declarado culpable de utilización ilegal de armas y de formar parte de un grupo que pretendía llevar a cabo actos de terrorismo y condenado a 15 años de prisión, que se redujeron a 12 tras los sucesivos recursos. En 2012, el relator de la ONU para la tortura, Juan Méndez, que tuvo ocasión de conocer las condiciones de encarcelamiento de Ali Aarrass y que pudo promover su examen por un médico forense independiente, dio pleno crédito a las denuncias de torturas, y así lo puso de manifiesto a las autoridades marroquíes, para que cesase cualquier práctica de esta naturaleza y se investigase lo sucedido.

En 2013, el Grupo de Trabajo de la ONU sobre la Detención Arbitraria pidió a las autoridades marroquíes que dejaran a Ali Aarrass en libertad de inmediato, tras concluir que había sido declarado culpable sin más fundamento que confesiones obtenidas por medio de tortura. En 2014, el Comité de la ONU contra la Tortura concluyó igualmente que la confesión había sido decisiva para declararlo culpable sin que se llevaran a cabo investigaciones adecuadas de la tortura que había denunciado.

Paralelamente, el Comité de Derechos Humanos de la ONU decidió, en julio de 2014, que España había incumplido las obligaciones contraídas en virtud del Pacto Internacional de Derechos Civiles y Políticos al extraditar a Ali Aarrass a Marruecos. Asimismo, pidió a España que concediera a Ali Aarrass la debida indemnización y que tomara todas las medidas posibles para garantizar, en colaboración con las autoridades marroquíes, que su detención en Marruecos se ajustaba al derecho y las normas internacionales.

En 2015, el Comité contra la Tortura expresó también su preocupación por su extradición en 2010 y pidió a España que investigase sus denuncias de tortura. A pesar de numerosas decisiones de la ONU que confirman las violaciones de derechos humanos que Ali Aarrass sufrió, hasta la fecha las autoridades marroquíes y españolas no le han ofrecido resarcimiento alguno. Y tampoco lo han hecho las autoridades belgas, pese a su inacción en la protección de un nacional de dicho país. Ni las repetidas medidas de protesta de Ali ni las campañas internacionales en su favor consiguieron su liberación anticipada, que no se produjo hasta abril de 2020. Ali, finalmente, pudo viajar a Bélgica unas semanas después, para comenzar su recuperación y seguir su lucha por la verdad y la justicia.

Quienes, a través de Amnistía Internacional en Asturias, que ha trabajado durante años en el caso de Ali, hemos conocido de su viva voz la pesadilla a la que ha sobrevivido, sabemos que, pese al tormento infligido y los años robados, no parará hasta que se ventilen todas las responsabilidades por los crímenes de los que ha sido víctima. Ali quiere, y tiene derecho a ello, que se reconozca cómo el zarpazo de un Estado autoritario (Marruecos), donde la represión es constante (frente a los activistas sociales rifeños o los líderes saharauis en los territorios ocupados, por ejemplo), la  práctica de la tortura es sistemática y la falta de garantías en los procedimientos judiciales es común, contó, al pronunciarse las palabras mágicas («lucha contra el terrorismo», que justifica todo y evita cualquier pregunta, al parecer), con la cooperación de España al entregarle pese a la repetida advertencia de que sucedería lo que luego acaeció (torturas y condena sin fundamento fáctico) y la complacencia de la propia Bélgica que, en la práctica, lo consideró un ciudadano de segunda indigno de su protección. La duda no es, por lo tanto, si el horror de la violencia estatal marroquí y la inicua colaboración activa u omisiva de las autoridades españolas y belgas detendrán los esfuerzos de Ali para obligar a que se rindan cuentas. La cuestión es si la sociedad civil de estos países será capaz de decirle a los aparatos de poder estatal que permitir o facilitar directa o indirectamente la tortura, en cualquiera de sus formas, es totalmente inaceptable, deslegitima el poder público y lo rebaja a la condición criminal de los autores, si no se depuran responsabilidades y se repara, en aquello que sea posible (porque ese dolor jamás se borra), el enorme daño causado.

Manu Scordia, Olivia Venet (LDH), Philippe Hensmans (AI), Farida Aarrass : Ali Aarrass, 11 ans plus tard et toujours en prison

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(photo : Olivia Venet, présidente de La Ligue pour les Droits Humains)

❌ En 2008, le belgo-marocain Ali Aarrass est arrêté par la police espagnole, suspecté de trafic d’armes pour un réseau terroriste.

Onze ans plus tard, en dépit d’un non-lieu faute de preuves et suite à son extradition vers le Maroc, Ali Aarrass est toujours incarcéré dans une prison marocaine.

✊ Devenu l’une des figures emblématiques d’ Amnesty International contre la torture, il est également devenu le symbole de la lutte pour l’égalité des droits des bi-nationaux.

📖 La reparution de la bande dessinée que Manu Scordia lui a consacrée a été préfacée par Alexis Deswaef, Président d’honneur de la Ligue des Droits Humans et soutenue par Amnesty International. Nous reviendrons sur la situation d’Ali Aarras et sur les raisons de l’engagement des intervenant.es présent·es pour cette cause.

Nous en parlerons avec :

Manu Scordia – auteur de bande dessinée et illustrateur * vainqueur 2019 du prix Atomium Le Soir de la meilleure BD de reportage.

Olivia Venet – Présidente de la Ligue des Droits Humains

Philippe Hensmans – Directeur d’ Amnesty International Belgique francophone

▶ Nous aurons aussi la chance d’accueillir Farida Aarrass, la soeur d’Ali.

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📌 « Ali Aarrass » est une bande dessinée en noir et blanc de style roman graphique qui retrace le parcours de cet homme, son enfance à Melilla, sa venue en Belgique, son mariage, ses différents boulots, son service militaire, sa librairie, son arrestation puis les mauvais traitements, l’extradition, la torture, le procès inique… tout cela en alternance avec le combat de sa sœur Farida pour la libération de son frère.

🤝 Une rencontre-débat en collaboration avec Pépite Blues, une librairie générale qui met les afro-littératures du monde entier à l’honneur. Des oeuvres produites par des africain·es, des afro-européen·nes, des afro-américain·es, des afro-caribéen·nes,
mais pas exclusivement. C’est aussi un lieu où écrivain·es, artistes et citoyen·nes se rencontrent, échangent autour des productions culturelles et de la créativité artistique dans leur diversité.

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Lundi 30 septembre 2019 de 19:00 à 22:00
Rue Lambert Crickx 5, 1070 Anderlecht

Réservation souhaitée : 📧 animation@pac-g.be / 📞 02/545.79.11

Facebook event click HERE 

le prix de la BD de reportage 2019 a été attribué à Manu Scordia pour la Bande dessinée « Ali Aarrass ».

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Ces 13, 14 et 15 septembre avait lieu la Fête de la BD 2019 à Bruxelles. A cette occasion,la cérémonie de remise des Prix Atomium récompense les bandes dessinées les plus marquantes de l’année.
 
Au total, huit prix ont été décerné: le Prix Atomium de Bruxelles, le Prix Première du Roman Graphique, le Prix Fédération Wallonie-Bruxelles,  le Prix « Le Soir » de la BD de reportage, le Prix Cognito de la BD historique,  le Prix Atomium de la BD citoyenne,  le Prix Willy Vandersteen 2019 et le Prix Raymond Leblanc de la jeune création.
 
Cette année, le prix de la BD de reportage a été attribué à Manu Scordia pour la Bande dessinée « Ali Aarrass ».
Une belle reconnaissance pour cette bande dessinée qui relate l’histoire d’Ali depuis son enfance jusqu’à la situation d’injustice qu’il vit aujourd’hui. Manu Scordia avait déjà édité une première version de cette bande dessinée en 2016 grâce à la campagne de crowfunding « Ali Aarrass, au delà des barreaux et des frontières ».
C’est maintenant aux éditions Vide-Cocagne que le livre est réédité et soutenu par Amnesty International et la Ligue des Droits Humains. Cette nouvelle version est préfacée par Alexis Deswaef, président de la Ligue des Droits Humains.
 
Gageons que cette reconnaissance poussera l’Etat Belge à prendre ses responsabilités et apporter enfin à Ali Aarrass l’aide consulaire à laquelle il a droit.
 
La bande dessinée est disponible en librairie et vous pouvez aussi la commander en ligne ICI
 
 

rtbf.be : L’ illustrateur et dessinateur de BD belge Manu Scordia pour « Ali Aarrass »

dans ARTS/DANS LA PRESSE par

Entrez sans frapper, 10 min, 

L’ illustrateur et dessinateur de BD belge Manu Scordia pour sa BD « Ali Aarrass » (Ed. Vide Cocagne).

Ali Aarrass est Belgo-Marocain. En 2008, il est arrêté par la police espagnole : on le suspecte de trafic d’armes pour un réseau terroriste. Son procès aboutit à un non-lieu, faute de la moindre preuve. Contre l’avis de l’ONU, l’Espagne accepte malgré tout la demande d’extradition du Maroc : en 2010, Ali Aarrass est transféré de l’autre côté de la Méditerranée. C’est la descente aux enfers : après 12 jours de torture, on lui fait signer un document qui deviendront ses « aveux ». Il est alors condamné à 15 ans de prison, la peine sera réduite à 12 ans en appel.
2019. Cela fait maintenant 11 ans que Ali Aarrass est sous les verrous, 11ans qu’il subit des mauvais traitements, 11 ans que l’on se bat pour sa libération.
Ali Aarrass, c’est l’histoire de sa vie, des jeunes années jusqu’à l’horreur judiciaire. A travers son témoignage mais aussi celui de sa sœur et de sa femme, on découvre la violence de ce qu’il vit – isolement, absence d’information, torture, mais aussi la persévérance et le courage de lutter et d’obtenir justice. Avec son trait noir et blanc faussement naïf, Manu Scordia s’empare avec brio de cette bataille judiciaire pour en faire un livre émouvant, combattif et militant.

Émission
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Didier Reynders du MR répond à la lettre du Comité Free Ali Aarrass

dans ACTIONS/AU PARLEMENT/DOUBLE NATIONALITE/EXTRADITION par

Le Comité Free Ali Aarrass a interpellé des têtes de liste des partis pour les élections fédérales à Bruxelles concernant les 3 lois votées ces dernières années ciblant les citoyens binationaux.

Deux questions ont été posées aux candidats Didier Reynders (MR); Georges Dallemagne (CDH); François De Smet (Défi); Ahmed Laaouej (PS); Zakia Khattabi Abtoy (Ecolo); Maria Vindevoghel Merlier (PTB), Dyab Abou Jahjah (Be.One)

1) Quelle est la position de votre parti sur ces trois lois ;
2) Votre parti compte-t-il demander leur abrogation s’il participe au prochain gouvernement fédéral ? « 

Voici la réponse du MR

« Madame,
J’ai pris connaissance de votre message relatif à plusieurs lois adoptées durant cette législature, dont la modification du Code Consulaire.
 
Vous formulez la crainte que ces législations engendrent des interprétations extensives et un statut de sous-citoyenneté à l’égard de certains compatriotes, dont les binationaux.  Je me permets de souligner que les mesures prévues dans la loi du 20 juillet 2015 et celle du 24 février 2017 sont le fruit de la recherche d’un équilibre entre plusieurs droits et libertés fondamentaux garantis par la Convention Européenne des Droits de l’Homme ; elles ne font jamais l’objet d’un quelconque automatisme mais bien l’objet d’une évaluation au cas par cas.  En ce qui concerne la modification du Code Consulaire et plus particulièrement l’assistance consulaire aux compatriotes binationaux, il ne faut pas perdre de vue que le champ d’application de l’assistance consulaire, que la Belgique veille à apporter à tous ses ressortissants, se situe hors des frontières de la Belgique, où s’exerce la souveraineté de différents Etats.  Dans certains cas, lorsque nos compatriotes possèdent également la nationalité du pays dans lequel ils sollicitent l’assistance consulaire, cette assistance ne peut être accordée qu’avec le consentement de cet Etat.  C’est une réalité à laquelle nos postes consulaires sont régulièrement confrontés et dont il faut tenir compte.
 
Vous soulignez à juste titre que des recours ont été introduits devant la Cour Constitutionnelle à cet égard.  Il appartiendra à la Cour de se prononcer sur le respect de la Constitution par le législateur belge.
 
Veuillez agréer, Madame, l’assurance de ma considération distinguée ».
 
Didier REYNDERS.
Vice-Premier Ministre et Ministre des Affaires étrangères et européennes,
et de la Défense
Rue des Petits Carmes 15
B – 1000 BRUXELLES
T:   + 32 (0)2 501 85 91
F:   + 32 (0)2 511 63 85
 

Interview de Julie Jaroszewski, autrice et metteuse en scène du Chœur d’Ali Aarrass : « Un pacte me lie à Ali Aarrass. C’est ça qui me tient… »

dans ACTIONS/ARTS/DANS LA PRESSE/Evénements par

 Un interview par Luk Vervaet

Dans les stations de métro de Bruxelles, un poster magnifique du Théâtre national invite à la représentation du Chœur d’Ali Aarrass les 23,24,25, 26 et 27 avril prochains. Comme Fatima Isma (photo dans la station Rogier), j’en prends une photo. Pour moi, comme pour mes camarades qui ont commencé la campagne Free Ali Aarrass il y a dix ans, c’est un moment historique. Qui aurait pu s’imaginer Ali Aarrass dans les métros de la capitale ? Il y a quelques années, j’avais vu la pièce « Waiting » sur les familles de détenus à Guantanamo de Victoria Brittain. J’ai tourné avec la pièce de Jean-Marc Mahy Un Homme debout. Il y a les films extraordinaires sur les prisonniers républicains en Irlande du nord. J’ai toujours rêvé qu’un artiste fasse une pièce de théâtre sur l’affaire Ali Aarrass.  Et voici Ali Aarrass au Théâtre national.

Julie Jaroszewski (° 1982) est la force motrice du Chœur d’Ali Aarrass. Elle est, avec Farida Aarrass, l’auteur des textes et la metteuse en scène. J’ai rencontré Julie pour la première fois il y a quelques années lors d’une conférence de presse sur une grève de la faim d’Ali. Je l’avais organisée dans le local du Parti Egalité, avec la participation de Dounia Alamat et de Farida Aarrass. Il y avait la RTBF et il y avait Julie Jaroszewski pour ZinTV. Depuis, elle a participé à toutes les actions pour Ali, pour ensuite se lancer dans ce projet hors du commun qui s’appelle le Chœur d’Ali Aarrass. Après un passage en version courte au Festival de Libertés et au Festival XS, le Chœur sera sur scène pour la première fois en version longue (90 minutes) au Théâtre national.  Rencontre et interview dans un café bruxellois.

Luk Vervaet (LV) : Julie, quand j’entends ton nom, je lis une histoire polonaise ?

Julie Jaraszewski (JJ) : Oui, c’est exact. Mais c’est une histoire effacée. J’ai un nom polonais. Les racines juives ou tziganes qu’on pourrait avoir ont été cachées. Pour nous préserver. On n’en parlait pas. Et ainsi, la deuxième guerre mondiale est passée pour ma famille, comme pour n’importe quelle autre famille. L’immigration de mes grands-parents date des années 1920. Mais elle est restée ancrée en moi, j’y suis attachée, avec un sentiment de refus de me désintégrer. J’ai des grandes zones d’ombre. Je cherche à exhumer cette histoire. Récemment j’ai découvert le nom du village dont ils sont venus, qui n’était pas en Pologne mais en Tchécoslovaquie. Une terre devenue polonaise en 1938. J’ai découvert que c’est l’industriel Schneider, chez qui mon grand-père travaillait dans une usine à la frontière entre la Belgique et la France, qui a dessiné ces nouvelles frontières. Que mon arrière-grand-mère avait un nom, que des amis tziganes identifient comme ayant possiblement une étymologie Kalé, langue d’origine des Gitans. C’est certainement tout cela qui m’a rapproché de l’histoire d’Ali et de Farida.

LV : Julie Jaroszewski chante Kurt Weill, Julie est chanteuse de jazz, du classique, du folk, des chansons populaires de la résistance, comédienne, coréalisatrice de film, metteuse en scène… une artiste pluridisciplinaire ?

JJ : Le Burkina Faso a joué un grand rôle dans la perception de ma fonction en tant qu’artiste. Au Burkina, j’ai appris que la division entre les danseurs ou les comédiens et les différentes formes d’art n’a pas lieu d’être. J’ aimerais pouvoir effectuer le travail opéré par ce qu’on appelle en Afrique « les griots », qui sont des passeurs de mémoire, qui chantent, racontent ou dansent des histoires du temps passé pour opérer la transmission au temps présent. Ils se tiennent aux côtés des chefs guerriers, peuvent penser avec eux les moments opportuns d’une bataille, parce qu’ils tiennent en mémoire la jonction du passé au présent. J’essaie d’être la bonne griotte des Aarrass.

LV : Tu me parles du Burkina Faso. Tu participes à la campagne contre l’intervention américaine au Venezuela. D’où te vient cet internationalisme, cette connexion avec les peuples du Sud et leurs luttes ?

JJ : Dans les années 1970 ou 1980, l’internationalisme était une chose tout à fait normale, non ?  Je suis consciente qu’aujourd’hui il n’est plus présent comme à cette époque, mais j’espère que cette tradition internationaliste reviendra. L’internationalisme fait partie de mon enfance. Quand j’étais petite, il y avait des réunions d’Amnesty chez nous, mes parents m’envoyaient au lit sauf quand il y avait des réunions politiques. Là, disait ma mère, je pouvais apprendre ce que je n’apprenais pas à l’école. Je me souviens d’une atmosphère de communion, d’une ambiance de fête. A 17 ans j’ai fait le grand saut d’un petit village en Wallonie vers l’INSAS, une des grandes écoles de théâtre dans la capitale.  Nous étions 130 candidats à l’entrée dont on retenait 15. J’en faisais partie. J’avais une énergie brute. Au début, j’avais vraiment des difficultés à trouver ma place. J’étais une petite paysanne à l‘accent wallon, qui sortait d’un petit village. Après un an, je suis partie au Burkina Faso pour deux mois. C’était mon premier séjour dans ce pays et des dizaines d’autres allaient suivre. Là j’ai compris pour la première fois que j’étais blanche. Là, j’ai appris qu’il n’y avait pas une seule manière pour faire les choses. Assise sur la tombe de Sankara, j’ai découvert une philosophie de la résistance. Une science de la vie qui s’est transmise. Au point où je me sens à présent étrangère à Bruxelles, avec un sentiment d’appartenance profonde à l’Afrique. Et, ça peut te sembler bizarre, c’est aussi le Burkina qui m’a rendu ma fierté en tant que Wallonne, une fierté de ma grand-mère. Finalement la Wallonie, c’est aussi le Sud, c’est aussi la périphérie. Quand je montrais le film sur les tirailleurs marocains à ma grand-mère, elle était en larmes : « mais enfin pourquoi on leur a fait ça ? pourquoi ils nous ont menti ? ».

LV : Comment as-tu découvert l’affaire Ali Aarrass ?

JJ : D’abord via Facebook. Et je dois bien avouer que j’ai mis du temps à m’en rapprocher parce que l’accusation de terrorisme me faisait peur. Le « Il n’y a pas de fumée sans feu » a aussi agi sur moi. Ce sont l’avant-dernière grève de la faim d’Ali et ma participation à la conférence de presse avec toi, Dounia et Farida qui ont fait le déclic. L’émotion de Farida, mais aussi celle de l’avocate Dounia. A partir de ce moment ce n’était plus possible pour moi de tenir la caméra, je devais passer de l’autre côté.

LV : Il y a pas mal d’artistes qui ont fait des poèmes et des chansons magnifiques autour de l’affaire Ali Aarrass, mais toi tu as amené la musique au sein des actions et des manifestations. Pour aboutir au Chœur d’Ali Aarrass.

Je me disais qu’en échange des informations politiques ou historiques transmises par les militants, je pouvais mettre à disposition mes connaissances dramaturgiques, qui sont aussi techniques. Lors des manifestations, je voyais des gens crier et, les voyant devenir aphones le jour après, je ne pouvais pas rester silencieuse, sans transmettre des compétences basiques de chanteuse pour identifier le diaphragme et ainsi renforcer le soutien.

LV : A chaque fois tu essayais de transformer une manifestation devant le ministère des affaires étrangères en chorale militante …

JJ : Je crois au pouvoir du cœur, avec et sans ‘h’. Comment faire chœur, qui est la représentation du peuple ? Ce peuple qui est belgo-belge, wallon, maghrébin, tzigane, musulman, chrétien, athée…C’est aussi ça l’histoire de Farida et d’Ali Aarrass et des gens qui les soutiennent, et sont composés de tous ces couches d’identités. J’ai réalisé que la presse ne pouvait pas comprendre cela dans des temps si courts. Qu’il fallait la transmission du peuple, notre propre écriture.  Il y a la volonté aussi de réinscrire l’histoire d’Ai et de Farida, dans l’histoire du continent africain, car c’est là que Mélilla est géographiquement située. C’est fondamental. Et c’est ajouté à cela la guerre contre le terrorisme à l’échelle mondiale, ainsi que ses dérives. Mais la lutte contre le terrorisme n’est-elle pas le prolongement de la lutte contre « le barbare » ? De la déshumanisation constante à partir du fait colonial ? Depuis des siècles et prenant toujours des formes nouvelles. Quand on analyse l’histoire d’Ali, on peut constater que son père et son grand-père ont tous été pris dans le même piège des empires et des états-nations.

LV : D’où vient alors l’idée de créer une représentation théâtrale autour de l’affaire Ali Aarrass ?

JJ : De la frustration de voir paraître, dans le meilleur des cas, des communiqués de presse de la campagne Free Ali Aarrass, où des phrases essentielles avaient sauté.  Ou d’être réduits à deux minutes d’infos dans un JT, où il n’y a pas de lien entre cause et effet. C’est le cinéma qui m’a appris l’importance du montage. Qui remet en question une soi-disant objectivité. Elle n’existe pas. Ce n’est que la négation du rapport de force. Godart a dit :  » l’objectivité c’est 5 minutes pour les juifs et 5 minutes pour Hitler ».  Pour Ali et Farida, ça veut dire que, bien qu’il y ait eu un non-lieu pour Ali en Espagne, bien que l’ONU ait dit qu’Ali a été extradé illégalement au Maroc, bien qu’il ait été reconnu qu’il a signé des aveux sous la torture, ces infos majeures ont du mal à passer, ce serait perçu comme un manque d’objectivité. Mais donner cinq minutes à Ali et cinq minutes à l’Etat… est-ce qu’on considère qu’ils ont les mêmes forces à être représenté ?

LV : Une représentation théâtrale qui prend parti dans ce rapport de forces et qui veut raconter toute l’histoire d’Ali ?     

JJ : Je veux montrer comment l’histoire coloniale et des empires a profondément marqué la vie des Aarrass, qui à l’origine sont des Amazight, des « berbères », des ‘barbares’, des non-grecs. L’histoire d’Ali et de Farida, c’est aussi l’histoire du père et du grand-père. C’est sur trois générations qu’on peut percevoir un système. Le grand-père était aux côtés de Abdelkrim Kattabi dans sa lutte contre l’Espagne et la France et son peuple a été bombardé de 400 tonnes de gaz-moutarde par la France et l’Espagne avec le concours de l’Allemagne. Le père était un dirigeant de campagne pour les droits civiques des habitants de Melilla, colonie espagnole, qui ne recevaient pas la nationalité espagnole. Ils étaient recensés, mais n’avaient pas de citoyenneté espagnole. La vie des Aarrass aurait été totalement différente s’ils avaient reçu cette nationalité. L’hyspano-marocain arrêté dans le cadre de la même enquête qu’Ali Aarrass, et qui a bénéficié tout comme lui, d’un non-lieux prononcé par le juge Balthazar Garzon, n’a pas été extradé et a été remis en liberté. Ils ont dû se faire enregistrer au Maroc pour pouvoir émigrer en Belgique. Leur histoire rejoint celle de beaucoup de gens qui se retrouvent dans des zones de non-droit et de non-être, et où les administrations de l’état ne les protègent pas.

LV : Quelles sont tes sources ?

JJ : Bien sûr il y a Brecht, Pasolini… Mais c’est surtout ma rencontre avec Thierry Deronne , un Belge qui vit au Venezuela depuis trente ans et qui est à l’initiative de l’Ecole Populaire de Cinéma et de Théâtre Latino Américain et dernièrement de Terra Tv, une télévision pour construire la souveraineté populaire dans l’information. Après ma participation à la flottille pour Gaza au début des années 2000, j’ai fait la connaissance du mouvement pour la télévision libre et populaire grâce à lui.  Cela répondait à toutes mes attentes, à savoir que les informations ne sont pas le fait d’une élite formée dans les écoles, mais la propriété du peuple qui agence lui-même son propre récit, qui en prend connaissance et le modifie, sans déléguer l’écriture de ses luttes aux médias dominants. Je sais que le climat politique chez nous n’est pas comparable. Mais chez nous aussi on est devant ce choix. De présenter Farida, bien qu’il s’agisse de la même femme et des mêmes faits, comme la sœur voilée d’un terroriste ou de lui donner sa place en tant qu’actrice héroïne de sa propre histoire et de celle de l’émancipation des peuples. Les médias doivent être un moyen de communiquer et non de faire des spectacles.

LV : Comment la formation du chœur a-t-elle fait chemin ?

JJ : Tout s’est passé de manière assez organique et spontanée. Ali en était à son cinquantième sixième jour de grève de la faim. Avec Pauline Fonsny, avec qui je partage toute cette réflexion sur le spectacle médiatique, nous avons filmé une manifestation pour Ali devant le ministère des Affaires étrangères. A partir de là, j’ai écrit un texte sur le chant, la voix, le soutien. Un appel pour se réunir et pour porter la voix d’Ali autrement. En lui faisant la promesse que s’il arrêtait sa grève de la faim, on allait le faire pour lui. Je me sens comme tenue par un pacte avec Ali Aarrass.

En 2015 et 2016, nous avons publié différents appels aux artistes et aux citoyens. De nombreux artistes s’étaient manifestés en soutien. Comme Anne-Marie Loop, une grande actrice et une militante engagée qui joue le rôle de l’avocate d’Ali Aarrass.

Les femmes sont arrivées les unes après les autres, pour le coup aussi bien professionnelles que non professionnelles, je n’ai jamais fait de casting.

LV : Ce groupe de femmes n’a fait que grandir. Vous êtes combien maintenant ?

JJ : Nous sommes 28 femmes, hors et sur scène, dont une dizaine de professionnelles. L’appel pour le chœur date d’il y a trois ans et demi. Depuis nous avons commencé à travailler, pas toujours au même rythme. On a tenu un rendez-vous hebdomadaire. Après le passage au Festival des libertés et celle du Festival XS en version courte, nous travaillons depuis février de l’année passée à la version longue pour le Théâtre National. Farida et moi avons fait un important travail d’écriture en concertation. Auparavant j’ai aussi réalisé deux documentaires radiophoniques auxquels le Chœur a participé. Et qui m’ont permis de faire un travail de recherche et d’investigation à Melilla avec Mustapha, le père d’Ali. Une expérience qui a été pour moi fondamentale. Ces deux documentaires seront disponibles sur CD au moment de la représentation au Théâtre National, accompagnés d’un petit livret de textes. Plus tard, j’espère qu’on pourra éditer le texte de la pièce.

LV : Comment expliques-tu que cette pièce soit présentée au Théâtre National, ce qui était impensable il y a dix ans.

JJ : Je pense que le Comité Free Ali a fait un travail inimaginable pendant toutes ces années. Les liens que le Comité a su tisser ont été extrêmement importants afin de représenter Farida et Ali et nos Andalousies. L’Andalousie, ne s’arrête pas à Malaga ou à la Méditerranée, elle traverse la mer et se retrouve dans le Nord du Maroc. Mélilla c’est l’Andalousie . J’y ai vécu aussi. Notre identité n’a pas à être définie par les Etat-Nations, sur base de l’appartenance à une couleur ou à une religion. Au mythe du choc des civilisations, j’oppose le mythe de l’Andalousie, parce qu’il y a des mythes qui divisent et des mythes qui rassemblent. Avec le Comité Free Ali, on a créé des Andalousies. On s’est créé des remparts contre la brutalité du monde et ses adversités. Et le théâtre est notre refuge. Nous sommes autres, nous sommes multiples. Des femmes ont rejoint le Chœur après les attentats de Bruxelles. On leur disait que l’unité n’était pas possible. Nous disons : oui, ça l’est. Le Chœur est devenu un refuge où on prouve que la communion est possible et nous revendiquons une équité de droits pour tous/toutes les citoyen-ne-s. Si nous avons reçu une place au Théâtre National, c’est aussi parce qu’il y a des personnes qui veulent que ce message résonne. L’époque d’aujourd’hui est telle qu’elle oblige tout le monde à se positionner. Il sera de moins en moins possible de rester passif face aux événements. Etre présent au Théâtre national, c’est dû aussi au courage de certaines personnes, comme Fabrice Murgia. D’une certaine manière, je trouve qu’il est plus facile de vivre à Bruxelles aujourd’hui qu’il y a dix ans ; je rencontre plus de personnes qui constate le chaos du monde et veulent prendre position. Il y a dix ans, je me sentais assez isolée. Nous devons agir sinon on va mourir de honte, d’inaction, et finalement on renoncera à notre humanité.

LV : Un dernier mot ?

JJ : Je voudrais parler de la scénographie du lavoir. Elle vient d’une réflexion sur l’espace du commun dans lequel travaillaient les femmes avant la domestication de leur tâche. Récemment Thierry Deronne m’a envoyé un article, en clin d’oeil. La dernière pièce de théâtre de Brecht, Thurandot ou le congrès des blanchisseurs, restée en partie inachevée, traite de la marchandisation de la pensée et de la vente des opinions.  Bien sûr, ce n’est pas voulu par le Chœur d’Ali Aarrass, et je ne l’ai su qu’après coup, mais j’ai un peu le sentiment de reprendre là où il s’est arrêté. Si Brecht avait été vivant, je suis certaine qu’il aurait écrit sur Ali Aarrass.

Merci Julie !

A lire aussi : Le Choeur d’Ali Aarrass sur le site de La Ligue pour les Droits Humains

Pour réserver vos places : Le Choeur d’Ali Aarrass au Théatre national 23 > 27.04.2019 

 

Le Choeur d’Ali Aarrass : dans 20 jours au Théâtre National à Bruxelles ! Réservez votre place!

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Les répétitions au Théâtre National ont commencé. Dans 20 jours, Le Chœur d’Ali Aarrass fait entendre sa voix.

Pour réserver c’est ici: >>>>>>> https://www.theatrenational.be/…/458-le-choeur-d-ali-aarrass

 

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