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Fragments de vie carcérale (9), texte et dessins d’Ali Aarrass

dans ACTIONS/ARTS/LA PRISON AU MAROC/TORTURE par

Durant toute ma vie, j’ai bossé très dur et cela depuis mon adolescence. Je suis devenu indépendant très tôt. Ceci-dit j’ai acquís des responsabilités, mais surtout une connaissance culturelle, humaine, dans ses valeurs, ses faiblesses. Tout ceci bien sûr en étant en liberté, sans que personne ne m’impose ou me donne des ordres. La fierté de ce mode de vie, le contact humain ne manquait pas ! Mais mon destin en avait voulu autrement, que je sois privé de ma liberté .

Là,  en isolement sensoriel, il fallait faire preuve de résistance ,  de beaucoup de patience, en bref apprendre à mieux se connaître.

J’aimerais attirer votre attention, l’être humain entre ces maudits quatre murs va s’identifier par lui-même. Certains craqueront très vite, ils seront condamnés puis ils devront prendre une décision pour le reste des années qui leur reste à faire et sur la façon dont ils voudront les mener jusqu’à leur libération.

D’autres refusaient  d’être dans ces conditions dures et pénibles.  Ils vont chercher le moyen le meilleur et le plus facile de se faire une place  parmi les matons: être leur pion, leur mouchard, leur marionnette, ils pourront ainsi avoir accès à des  tâches de nettoyage, distribuer la nourriture etc… dans tous les quartiers pour tenir informés les matons et pourquoi pas, même le directeur.

En échange d’une semi-liberté  et de ne pas rester enfermés pendant des journées interminables en prison. À savoir aussi, les établissements pénitentiaires savent très bien qu’il leur faut quelqu’un pour approcher les prisonniers. J’ai découvert en prison cette créature faible, égoïste, qui était capable de balancer son compagnon de cellule ou de prison, seulement  pour ne pas rester enfermé !!!

Malgré tout cela, ils n’avaient pas accès à nos ressentis et à nos intentions, car nous aussi nous étions informés par certains gardiens qui nous dévoilaient les mouchards qui coopèrent avec les matons…

Vous comprendrez que cette petite histoire est  celle des esprits fragiles et vulnérables,  qui n’ont pas encore acquis  le savoir ou la connaissance des vraies valeurs d’un être humain et de sa dignité, ils  finiront bien par succomber à  leurs désirs. La prison est un lieu où les détenus doivent construire une solidarité, une empathie entre eux, le monde extérieur, celui où la majorité des gens les considère comme des criminels…J’aimerais vous rappeler, chez l’être humain il y a toujours au fond de lui-même un cœur, avec des regrets, des remords,  aussi  avec des sentiments. Je ne peux leur en vouloir,  la condamnation leur suffit comme punition.

Ce qui est clair, c’est  que quand ils ne leur sont plus  d ‘aucune  utilité. Ils les dévoilent au reste des détenus…

Il était important de savoir qui était qui, de connaître les bons et les méchants, ceci afin de ne pas commettre d’erreur et d’éviter le cachot.

Aujourd’hui, je fais appel à tous ceux et celles qui ont une famille en prison. Oui, je dis bien une famille, car le prisonnier, c’est à ce moment-là, durant toutes les années pendant lesquelles il sera privé de liberté qu’il aura besoin de vous plus que jamais !

Je comprends que cela devient très long et dur parfois. Mais il est fondamental pour lui de ne pas  se sentir oublié. Aussi, j’aimerais que vous essayiez de leur faire savoir qu’il est très important de nous transmettre de leurs nouvelles et leurs témoignages. Vous êtes  les seuls à pouvoir les approcher et les  écouter.

Quant à  nous-mêmes les ex prisonniers. Nous n’avons pas d’excuse à  donner ! Surtout si nous  avons le temps et les capacités de faire entendre notre voix dans le monde !

Je sais de quoi je parle. A cette occasion, j’en profite pour remercier toute ma famille,  spécialement  ma très chère sœur Farida, mes prunelles, mon autre moitié que j’aime énormément, celle qui a remué ciel et terre pour son frère et tant d’autres.  Je me rappelle en prison, beaucoup des détenus conscients du combat qu’elle a mené durant ces longues années me disaient bravo et merci infiniment pour ta sœur Farida. Et je pouvais être fier de t’avoir comme sœur.

Bien entendu, je remercie Luk Vervaet qui n’a jamais rien lâché, ni baissé les bras pour les injustices que m’ont infligées ces » états »: l’Espagne, le Maroc et la Belgique par son silence. Luk Vervaet,  un homme qui sait écouter les autres,  et avec  de grandes qualités, une  grande expérience dans le militantisme, très solidaire, avec un grand cœur. Aujourd’hui je lui dis, merci infiniment de ne pas avoir laissé seule ma famille depuis le début de ce combat… Aussi j’aimerais saluer et remercier le Comité Free Ali et tous ceux et celles qui n’ont jamais baissé les bras !

Et bien sûr tous les militants, et les ONG… des hommes et des femmes conscients courageux. Voilà pourquoi l’engagement d’une famille est très important. Cela m’était un soutien et un encouragement pour continuer à me battre jusqu’à ma libération car je m’étais fixé un objectif bien avant de sortir. Oui, un engagement prioritaire pour les opprimés et les humiliés. Mais cela demande la coopération d’une présence humaine. J’aimerais interpeller la conscience dont vous disposez. Nous ne pouvons pas rester indifférents, nous devons contribuer et agir contre les injustices, il ne faut pas attendre d’être touché ou privé de notre liberté et de notre dignité pour se dire, pourquoi n’ai-je pas réagi avant. Chacun de nous possède des capacités, des valeurs. Sommes- nous des égoïstes ? Je profite de cette occasion pour remercier tous ceux et celles qui ont milité avec ferveur pour la libération des prisonniers politiques et d’opinion partout dans le monde.

J’ai toujours  cru et dit qu’il fallait se  défier soit même, et cela malgré les  conditions extrêmes de la vie carcérale. Il fallait mettre mon corps à l’épreuve. Il n’y avait pas d’autre endroit, mieux qu’une prison, plus dur encore  quand c’est en isolement…

Ma première grève de la faim, c’était en Espagne dans le sud. La prison de  Botafuego  à  Algeciras. Après  une longue procédure  d’attente  pour être jugé ou  extradé au Maroc.  Le risque étant permanent…

Une décision très lourde  que  je devais prendre. Après m’être renseigné d’une fenêtre à une autre. J’étais convaincu que la grève ferait pression et ferait freiner la décision d’être extradé, une extradition arbitraire, injustifiée, une violation des droits  de l’homme…

Conscient des risques, des conséquences pour ma santé, sans tarder après en avoir informé les avocats, j’ai entamé une grève de la faim qui allait durer une trentaine de jours, puis  une deuxième d’une quarantaine de jours et la dernière avant d’être extradé au Maroc, qui durera quarante-trois jours, celle-ci j’ai dû l’arrêter une fois arrivé en dépôt à la prison de Salé ll. Mais avant, ils m’ont fait passer par le centre secret de Témara pour y être torturé… 

Voici un bref résumé de mes grèves de la faim.

La première chose à faire était de l’annoncer par écrit au ministère de justice, et au directeur de la prison, ceci afin d’officialiser la grève. J’avais fait un stock d’eau dans ma cellule. Ma famille m’avait tenu au courant  de tout par téléphone.

Les premiers jours, je sentais la faim je me faisais contrôler par le médecin. Ils savaient très bien que j’étais sérieux, ils pouvaient aussi le remarquer à ma perte de poids… Dans le régime carcéral, ils ont l’habitude, l’expérience et savent reconnaître ceux qui sont en grève vraiment  et décidés à terminer leur combat.

J’ai dit ultérieurement, que j’étais sous un contrôle très rapproché. C’est-à-dire le contrôle direct. Je devais rester calme et couché, afin de ne pas trop consommer mes forces, il fallait que je résiste le plus longtemps possible. Les grèves ont été mon seul moyen pour me défendre depuis mon isolement. Ils m’ont poussé à mettre ma vie en danger, contre toutes les injustices, malgré ça, je me sentais impuissant entre ces quatre murs. Je savais qu’à  l’extérieur, il y avait des actions menées pour protester contre mon extradition donc je devais mettre mon grain de sable aussi.

Ces trois grèves officielles en Espagne étaient pour moi la seule défense, même si je mettais ma vie en danger. Malgré tout cela, ils avaient déjà tout planifié en accord avec le Maroc, pour que je sois sacrifié !

Je ne pouvais rester sans rien faire. Ma conscience ne me le permet pas ! Vous ne pouvez imaginer les conditions en isolement, et surtout en grève de la faim.  Être seul est, certes, une impuissance, le temps passe très lentement. Le plaisir et l’envie de manger se ravivent dans le cœur et le cerveau. Même les matons m’incitent à  manger en cachette.

Les médecins aussi, mais ajoutant  » bravo Ali, mais tu dois comprendre que tu es en train de foutre en l’air ta santé et les conséquences tu les auras plus tard « . Je leur disais « que je n’avais d’autres choix pour  défendre mon innocence « . Ce sont les mêmes incitations et les mêmes commentaires, pour les trois grèves de la faim que j’ai faites dans cette prison d’Algeciras (Botafuegos ). 

Le directeur en personne s’est présenté dans ma cellule, c’était la première fois que je le voyais. Il m’a dit « Ali, tu as le droit de te défendre, mais sache que d’autres prisonniers sont morts .

Il faut laisser le temps  à la justice de faire son travail ».  Que faut-il répondre à ce commentaire selon vous ? J’étais sûr  que ce directeur ne voulait pas ou n’aimait pas  comme tous les autres d’ailleurs, avoir des problèmes avec la justice. Car il y a risque d’en mourir… Surtout quand il s’agit d’un prisonnier politique et d’opinion. Attention, je vous parle de trois grèves de la faim en Espagne !!!

Par-contre au Maroc.  Tu pouvais mourir autant de fois, cela ne leur faisait ni chaud ni froid. Et si tu es mort en prison, ils t’emportent à l’hôpital, celui-ci fera un rapport qui dit que « ce prisonnier est bien mort à l’hôpital « !!! Tous complices !

La pure dictature du Maroc. De père en fils, une dynastie aveuglée par le pouvoir, des criminels sans état d’âme, qui laissent le peuple dans la misère.  Tous ceux qui osent lever la voix contre ce régime , ils seront condamnés.

Vous avez le prisonnier Nasser Zafzafi qui a servi d’exemple. Qu’a-t-il fait pour être condamné à  20 ans d’emprisonnement ? Pour  sa dignité et celle de son peuple, il s’est levé, il a lutté, pacifiquement pour demander des hôpitaux, du travail, des infrastructures, des écoles etc… dans le Rif ( Alhoceima ) qui est abandonné aujourd’hui par ce dictateur de roi M6 avec la complicité des Européens par leur maudit silence.

Ils veulent déraciner l’histoire de nos ancêtres, mes racines ! Une civilisation humaine qui durant des siècles, nous a enseigné l’amour pour l’humanité et le respect de nos terres sacrées. Il faut comprendre, que pour des prisonniers déterminés dans leurs convictions et convaincus de leur innocence, il serait difficile   de  faire taire leur voix !!! J’aimerais pousser un grand cri, hurler à nouveau, mais cette fois-ci depuis ma semi-liberté. Car d’autres prisonniers innocents continuent à être torturés, en isolement, et   d’être oubliés… Nous devons être solidaires avec eux ! Nous sommes leur voix ! Nous prenons la relève ! Sans peur, sans relâche ! Apprenons à nos enfants l’amour de notre terre, ses  valeurs. Oui, c’est un travail qui donnera ses fruits, alors  vous pourrez être fiers de ce jour-là…Nous ne pouvons pas rester indifférents à notre chère terre qu’est le Rif. L’histoire nous  enseigne l’unité. Il y a des hommes et des femmes capables de faire bouger des montagnes.

Une histoire avérée comme celle du Rif, personne ne peut la démentir.

Elle est là, pour  ceux et celles qui ont encore l’amour sacré du Rif, notre terre !!! Je reviens à l’isolement en Espagne. L’un des détenus qui sortait à la cour avec moi, très jeune, n’avait pas encore été condamné, la justice espagnole devait rendre son verdict dans les 2 ans, même si elle le soupçonnait, elle n’avait pas assez de preuves, elle prolongera 2 années de plus son attente. Il avait été arrêté pour falsification d’argent. A la veille de son mariage, il avait été arrêté, ils avaient découvert un billet de 300€, imprimé chez lui, plus quelques joints pour passer la soirée. Oui vous  avez bien compris, c’était bien  un billet placé là exprès, un coup de jalousie, quelqu’un ne voulait pas qu’il épouse cette fille. La preuve, elle n’a pas tardé à  demander le divorce alors qu’il était encore en prison ! Voilà une histoire de films…

La « justice » a dû le libérer faute de preuves. En Espagne, les prisonniers pouvaient écrire des lettres d’une prison à l’autre. Communiquer d’un isolement à l’autre était très important pour le moral et échanger des nouvelles entre eux. D’autres font des connaissances avec des prisonnières femmes…

Ils pouvaient même faire une demande officielle pour un mariage et être regroupés dans une prison pour vivre ensemble. C’est le cas de la prison où j’ai été, Algeciras, et en plus , ils leur  donnaient un boulot dans les ateliers. Ils étaient payés à l’époque 400€ par mois sur leur compte. Aussi ils avaient priorité et des avantage,   ils étaient condamnés à de longues peines.

D’autres gardent leurs bébés jusqu’à l’âge de 5 ans. Par la suite, ils seront remis entre les mains de leur famille pour aller à l’école, le week-end ils viennent rejoindre leurs parents en prison, malheureusement.

Oui, je  me suis posé la même question que vous. Pourquoi dans les prisons qui sont commanditées par le roi du Maroc, le dictateur M6 n’a pas cette stratégie ou ce projet de réinsertion humaine ???

Il est facile d’inaugurer et d’ouvrir  des prisons, partout dans le Maroc,comme celle de Salé ll, Tiflet ll, Toulal ll, Tanger ll, Salouna ll, Aarjat ll ( El Filahi). Et bien d’autres encore, qui seront réservées pour torturer et maltraiter le peuple marocain… A savoir, qu’ils sont en train d’anticiper des arrestations bien  montées, des « réseaux » qui ne se connaissaient même pas, et pour ceux qui manifestent pacifiquement contre ce régime criminel policier… Le Maroc est très loin des droits fondamentaux. Non seulement dans  ses prisons, mais dans toutes ses « institutions », s’il faut appeler cela comme ça !!! Une tyrannie comme celle du roi du Maroc, n’acceptera jamais qu’il y ait une démocratie, un état de droit, une liberté d’expression.

 Jamais !!! Voilà l’une des réalités et la raison pour laquelle il continue à construire d’autres prisons… Des hommes et des femmes, conscients et courageux nous ont enseigné de continuer à persévérer et de ne jamais perdre espoir ! Je me rappelle d’une visite à la prison d’Algeciras d’un député d’un parti politique d’opposition, du parti socialiste qui gouvernait à l’époque, dont je ne dirai pas le nom. Par la vitre qui nous sépare, il  m’a dit : «  Monsieur Aarrass, sachez que nous sommes avec vous. Gardez l’espoir, votre famille va bien, vous n’avez pas  à vous inquiéter. Vous devez rester fort, ceci est une épreuve pour vous ». Et pour  terminer, il a ajouté « vous savez qu’elle est la différence entre un chameau et un âne » ? Je lui ai dit, « deux créatures fortes et robustes, pour rendre service à l’homme ». C’est vrai, mais  d’un autre point de vue, « La tête de l’âne est tout le temps baisée. Par contre, le chameau, sa tête, elle  est toujours levée et il est plus résistant que l’âne dans le désert. » Puis il est reparti  en disant, « cette procédure qui est la vôtre prendra du temps , c’est une affaire politique. Soyez courageux « . 

Voilà une visite que je n’avais pas demandée. Elle m’a été un rappel et d’un vrai soutien moral, pour voir plus clair dans  mon cas qui commençait à se compliquer. La pression, la solidarité étaient là, celle des ONG internationales, du comité Free Ali, tout le temps présent sans rien lâcher. Plus mon grain de sable : les grèves de la faim… Quelques  jours plus tard, une autre visite. Deux hommes  en civil se présentent l’un était le directeur chargé de la sécurité interne qui coopère avec les services secrets espagnols (CNI). Celui-ci, j’avais déjà reçu sa visite les premiers jours de mon arrivée. Il voulait en savoir plus sur moi-même : formalités sécuritaires, comportement, caractère, conviction, idéologie, religion…

L’autre qui l’accompagnait en civil voulait me connaître en personne, il jouait le rôle du  policier gentil. Voilà le résultat de la deuxième grève de la faim qui avait duré une quarantaine de jours.

La visite du directeur dans ma cellule pour me convaincre d’arrêter ma grève. Puis la  visite du député politique qui se montre solidaire  avec mon combat. Et la visite du directeur de la sécurité interne, accompagné de l’agent des services secrets espagnols ( CNI ) .

Malgré tout , ils n’ont pas pu me convaincre. Une grève de la faim est une dure décision à prendre, dès le début, je me suis fixé dans ma  tête de terminer ce combat même en mettant ma vie en danger.

Concernant les conséquences sur ma santé, J’ai pris mes responsabilités et j’ai assumé  jusqu’à la fin. Les encouragements, les soutiens à l’extérieur des militants solidaires avec cette noble lutte acharnée m’ont donné de l’espoir et le courage de continuer en persévérant tous les jours !!!

Le contact humain, en  étant isolé, devient inexistant. J’ai dû rester en cellule, il me fallait rester le plus calme possible sans  trop consommer mes forces.

Pour la troisième grève, aussi les mêmes techniques et la même expérience. Officiellement mes doléances étaient acceptées. Prouvée par les médecins dans leur rapport médical, sur mon état  de santé particulier, les contrôles qu’ils faisaient tous les jours, prouvée la crédibilité de ma grève de la faim.

Malgré les trois grèves officielles, j’ai été transféré à Madrid et extradé arbitrairement !!! Aujourd’hui, je résume ceci par une grande victoire.

Oui, depuis le début j’ai combattu ces injustices, pour prouver mon innocence, celle  qui avait été prononcée  par le juge Baltazar Garzón, qui  sans relâche a fait une enquête minutieuse et cela à mon insu, avant et après mon arrestation. Il est vrai qu’ils m’ont dérobé 12 années de ma vie !

Il est vrai aussi qu’ils m’ont torturé et terrorisé ma chère famille ! Comme il est vrai aussi, qu’ils ont essayé de me briser et de me faire taire dans les pires isolements d’Espagne et ceux du Maroc, mais en vain.

Oui, je me rends compte après tant d’années, que  j’ai survécu ! Aujourd’hui encore, il y a d’autres prisonniers politiques et d’opinion, des journalistes d’investigation aussi , qui ont été arrêtés et condamnés injustement, puis isolés du monde extérieur et intérieur. Ils veulent  les faire oublier !

 

 

Fragments de vie carcérale (2), par Ali Aarrass

dans Fragments de vie carcérale/LA PRISON AU MAROC/TORTURE par

Sous la torture, mes tortionnaires me disaient : « Arrête d’être têtu, car tu finiras par nous dire ce que nous voulons ! « 

Moi je suis resté sincère et je n’avais rien à leur dire, sauf ce que je crois juste et équitable pour ma personne. Donc être têtu m’a aidé à rester debout pour leur montrer que j’étais innocent et que ma dignité était au-dessus de tout !!!

Les jours, les mois passent dans ces conditions et j’ai remarqué que je me faisais respecter et estimer par certains matons et prisonniers pour mon opposition.
Aujourd’hui je n’ai aucun regret, ni d’avoir fait face et d’avoir défendu certains prisonniers…

Le temps a passé et je savais que j’étais condamné d’avance. Donc, il fallait me faire une place, car ainsi l’avait voulu ma destinée !
Nous devenons solidaires entre nous les prisonniers. Durant toutes ces années d’injustice, j’ai pu constater et découvrir le vrai sens de l’être humain.
La souffrance et les épreuves nous ont unis dans des moments difficiles. La solidarité nous a fortifiés ! J’aimerais dire ceci : Le prisonnier ne doit jamais sous-estimer l’être humain, dans un endroit fermé et coupé du monde, il aura besoin de quelqu’un un jour pour le soutenir et l’encourager et même le défendre pourquoi pas quand on est vulnérable!
Aujourd’hui, tout le monde s’est bien aperçu que le Maroc est une dictature, et que son système politique est une monarchie exécutive et cela est un obstacle pour le peuple et aussi pour le pays. Ceci explique que le gouvernement ne gouverne pas ! Donc le dictateur du Maroc depuis son palais n’a de compte à rendre à personne. Oui, le Maroc torture ses citoyens en terrorisant, réprimant et emprisonnant ceux qui ont l’audace de critiquer ces criminels !

Le bras de fer, la répression de tous les jours engendrent la dégradation et la peur d’être arrêté et torturé par des créatures sans état d’âme, qui sont là pour exécuter les ordres du dictateur terroriste qui est le roi, et cela même en dehors du Maroc.
Avec des mercenaires qui sont prêts à agir comme des hors-la-loi !!!
Comment peut-on accepter qu’une poignée d’individus, ou un seul, puisse imposer à des millions de citoyens de vivre dans la peur ?

À qui il faut en vouloir donc ? Nous savons tous que l’union fait la force et la différence entre le bien et le mal. N’en avons-nous pas marre de raser les murs, d’être de l’autre côté de la marge, combien de temps resterons-nous cachés dans cette indignation sans précédent?
L’histoire nous a enseigné que tous ceux qui ont commis des crimes ont fini par tomber. Grâce à des hommes et des femmes conscients et courageux, qui ont eu l’audace de les affronter pour leur dire que cela suffit !

En prison, on devait marquer notre présence, par la force des choses, ne serait-ce qu’un seul jour, pour notre dignité humaine.
On nous demandait de nous engager à respecter le « règlement pénitentiaire « alors qu’eux-mêmes ne le respectent pas ! Toutes nos dénonciations et nos doléances étaient détruites et bafouées.
Cela devenait insupportable et inadmissible. Nous étions forcés de manifester pacifiquement : tout le quartier renonçait à sortir à la cour et aux douches, et d’autres refusaient de sortir voir leur famille, afin que celles-ci dénoncent auprès du procureur du roi cette violation et la présumée disparition des prisonniers. Croyez-moi, cette solidarité entre nous a contraint le directeur à céder et à nous foutre la paix quelque temps…
Notre but n’était pas d’avoir un résultat rapide de notre combat, mais plutôt de participer et de mettre son grain de sable. Aussi de savoir sur qui compter, car il est facile des fois de contester ou protester contre les conditions de détention, mais le jour venu pour être là quand il le faut, les cœurs téméraires font surface : les jambes tremblent de peur d’être maltraité, torturé ou transféré dans une autre prison.
Les matons savent les reconnaître facilement, ils prennent le prisonnier, on lui pose sa sale main sur le cœur et ils disent : Voilà, celui-ci a peur, il a sûrement des choses à nous dire !!!
Il est difficile dans une prison d’arriver à un résultat efficace contre le régime carcéral.
Il nous fallait être patient et convaincu qu’avec peu d’éléments capables et bien organisés et surtout bien futés, on pouvait arriver à faire entendre notre voix dans le quartier et même à l’extérieur, sur toutes les violations de nos droits fondamentaux et sur les maltraitances.
Depuis le début, j’étais engagé dans ce combat sans m’en rendre compte, vous n’imaginez pas le bien que cela fait de participer et d’avoir acquis certains de nos droits fondamentaux, ne serait-ce que pour peu de temps. Certains prisonniers de droit commun utilisent leur méthode, la corruption du directeur et des matons. Mais il leur fallait être prêt à verser le montant exigé.
Dans mon quartier, ils savent très bien qu’ils n’avaient rien à en tirer, c’était la vulnérabilité, mais surtout la dignité qu’il ne fallait pas toucher ni nous priver d’elle!

Il m’arrive de voir de la fenêtre de ma cellule qui donne vers la cour des prisonniers qui marchent seuls, tête baissée, comme s’ils avaient tous les soucis du monde sur leur dos. Après m’être renseigné sur le pourquoi de ce comportement, j’ai compris.
Ils pensent à leur petite famille, qui va s’occuper d’eux et leur porter secours? Je me suis penché sur cette question et je me disais que j’avais de la chance et d’être privilégié d’avoir une famille et le soutien d’une solidarité d’hommes et de femmes, que je remercie du fond du cœur. Mais il ne fallait pas rester les bras croisés ; j’ai fait courir le message de partager d’abord moralement nos sentiments avec ces prisonniers et de les aider à l’extérieur le jour de visite de sa famille. Cela a demandé un peu de temps, mais on voyait les sourires revenir sur les visages.

J’aimerais souligner ceci: en prison, soit on est humain et l’entraide solidaire surgit pour les humiliés et les vulnérables. Soit on devient des créatures sans raisonnement ni conscience.

Lire Fragments de vie carcérale (1) cliquez ICI

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