Fragments de vie carcérale (4), par Ali Aarrass
Nous devons prendre conscience que seul le meilleur en sortira infailliblement ! C’est quelque chose qui ne tombe pas tout cuit dans notre bouche. Ne sois jamais découragé. Il est vrai que dans un état répressif, la tâche des opposants n’est pas facile. Par contre et malgré cela, nous devons manifester pacifiquement et sans violence, avec persévérance !
En prison j’avais tout le temps un pas d’avance sur le système carcéral : j’ai fait de mon isolement un monde propre à moi ! Je pouvais dans ma tête imaginer, étudier le régime carcéral, enregistrer le claquement et la fermeture de toutes les portes et savoir d’où ça venait ! J’ai été maître de moi-même, je leur ai fait savoir qu’ils ne pouvaient pas m’imposer leur règlement pénitentiaire, ni leurs lois qu’eux-mêmes ne respectent pas !
Je voulais vivre chaque minute en conscience avec moi-même et en accord avec mes valeurs. Je me suis senti le directeur de ma vie, je pouvais dire oui et non quand je voulais. Cela m’a poussé à leur faire croire que j’ai été le maître de mon destin : car le chemin qui mène à la liberté et à la dignité humaine demande parfois de renoncer à la facilité, pour suivre les exigences de sa volonté au plus profond de soi-même.
Il n’est pas toujours facile d’acquérir nos droits dans une prison et moins encore en isolement quand on est coupé du monde sous un contrôle constant.
En isolement en Espagne et au Maroc
En Espagne j’ai été aussi isolé et mis dans un quartier d’isolement avec les plus dangereux et des prisonniers politique de L’E.T.A et d’autres de droit commun avec de longues peines. Je voulais seulement vous faire savoir la différence des isolements entre l’Espagne et le Maroc.
En Espagne d’abord. Malheureusement comme c’était ma première expérience préventive, les trois premiers mois d’isolement sensoriel, j’étais traité comme un présumé « terroriste criminel, » en attendant la procédure de justice, ils étaient censés me surveiller de très près tous les jours pour en savoir plus sur mon comportement. Ils utilisaient les fouilles de ma cellule en jetant tout par terre brutalement et me fouillaient avec des attouchements pour m’humilier et tester ma réaction.
Chose que je n’ai pas acceptée bien sûr, quand c’était suivi par des commentaires racistes, des insultes sur ma personne présumée être « un terroriste « mais pas encore condamnée. Aussi ils me faisaient souvent changer de cellule, quand je leur demandais la raison, ils fermaient le parlophone, du coup la porte blindée s’ouvrait et je devais me diriger vers l’autre cellule… Il était important de savoir que les gardes ne pouvaient ni me frapper ni me maltraiter, car je pouvais les dénoncer auprès de la justice à Madrid chez le juge Baltazar Garzón, chargé de mon cas après une très longue enquête faite à mon insu avant mon arrestation, puisqu’elle a duré deux ans et neuf mois.
Un non-lieu
La justice espagnol a dû me donner un non-lieu, donc j’ai été innocenté. Mais malgré que la justice a décidé de me libérer, le gouvernement du parti socialiste ne l’a pas voulu ainsi. Nous savons que dans tous les États de droit dignes de ce nom en Europe rien ne peut être au-dessus de la justice ! C’est vous dire et peut-être vous rappeler, combien d’injustices, de violations des droits de l’homme ont eu lieu ! Au nom de la lutte contre le terrorisme… Les services secrets espagnols (CNI) avec la coopération des services marocains (DST), sous les ordres du roi du Maroc, ont convaincu l’Espagne et certains pays européens en leur montrant des scénarios bien montés, filmés avec leur caméra, d‘arrestations de jeunes, dont la grande majorité sont innocents. Tout ceci pour faire leur propagande de « F.B.I marocaine » ! Je vous invite à visualiser les enregistrements de coups montés de toutes pièces de leurs descentes pour neutraliser les présumés membres de réseau terroriste qui ne se connaissaient même pas entre eux. Une fois arrivés en prison, ils sont séparés, puis ils se rencontrent à l’infirmerie ou dans le fourgon cellulaire en direction pour leur procès, c’est alors là qu’ils font connaissance et puis ils sont choqués de découvrir qu’ils font partie du « même réseau ». Donc je vous laisse imaginer et juger, où est la crédibilité de ces policiers terroristes et criminels qui osent même faire des communiqués à la presse pour dire qu’ils étaient prêts à agir avec des « armes » et tout un « arsenal ». Alors qu’ils n’ont même pas de quoi nourrir leur famille…
Durant les douze années d’emprisonnement, j’ai découvert et analysé, que le Maroc était prêt à sacrifier ses citoyens pour faire croire au monde extérieur qu’ils sont très forts dans la persécution du terrorisme. Oui, contre des jeunes qui ne se connaissent même pas entre eux. Bien sûr, il leur fallait un peu de crédibilité dans leur procès verbal bien monté de toutes pièces. Les jeunes arrêtés devraient avoir un profil qui était le suivant : avoir une connaissance basique de l’islam, fréquentation de la mosquée, opinion sur la politique et soutien aux opprimés dans le monde…
J’aimerais ajouter ceci.
Le monde ne peut plus rester neutre, en étant témoin des atrocités des crimes, des tortures abjectes des maltraitances tels qu’ils l’ont fait avec moi et d’autres au Maroc ! Et envers un peuple qui ne demande qu’à vivre librement dans sa dignité humaine ! Il est grand temps que cela change. Ce système policier au Maroc est en train de semer la peur, de terroriser le peuple marocain. Aujourd’hui, je me pose la question, combien de temps resterons-nous cachés sans vouloir faire surface? Il faut affronter ce système policier criminel, cette dictature despotique qui veut faire de nous des esclaves d’une monarchie, d’une dynastie qui nous pousse à marcher la tête baissée en rasant les murs !
Et pour finir, on croirait qu’on est dans un système archaïque, là quand on n’a pas d’éthique on devient alors pathétique ! À qui faut-il en vouloir ?
Je pense que si le monde évolue dans le bon sens, on doit évoluer avec lui ! La génération future ne doit pas suivre celle qui l’a précédée. Car grandir c’est souffrir dans le bon sens. La dictature au Maroc finira par tomber comme la poussière, elle s’élève, s’élève, et finit par tomber d’elle-même !
Donc je reviens dans le monde carcéral, là où mes convictions se sont renforcées durant ces douze années. Je me suis posé les questions suivantes. Etais-je en sécurité entre ces quatre murs ? Où trouver ma sécurité ? Étais-je prêt à défendre ma sécurité et à repousser le danger ?
Une chose fondamentale m’a aidé, c’est que je ne me suis jamais, à aucun moment, satisfait de rester statique. En prison je devais rester sincère et réceptif à tout. Je ne pouvais pas créer le nouveau en demeurant immergé dans l’ancien ! Un nouveau-né ne peut demeurer attaché à sa maman … Alors sommes-nous prêts à changer notre façon de penser et à agir pour avancer dans une solidarité humaine ? Et sommes-nous prêts à tout accepter quoi qu’il arrive ?
Et jamais, à aucun moment, nous ne devons permettre aux échecs apparents de nous décourager !
Prenons le temps de bien réfléchir et d’être bien honnêtes avec nous-mêmes !
Un long silence
Il y a des moments en prison qui ne peuvent passer inaperçus : dans un long silence, très long qui dure des journées interminables. Durant ce temps-là, un prisonnier en Espagne isolé dans notre quartier, pète les plombs et commence à frapper sur la porte de sa cellule !
Il criait, il ne voulait pas rester seul, il demandait d’être en compagnie avec d’autres personnes en cellule. Les gardiens ont ouvert la porte blindée et les coups venaient de tous les côtés, une fois maîtrisé et menotté il fut mené au cachot, quinze jours après ils l’ont ramené dans la même cellule. Par la fenêtre le soir, il nous a parlé et commenté ce qu’il lui est arrivé et qu’il recevait la visite d’un médecin tous les jours au cachot ; celui-ci lui a posé la question : qui l’avait mis dans cet état ? Avec des traces de coups sur son corps ?
Il a répondu qu’il avait glissé dans les douches. Le médecin a pu faire son rapport. S’il avait dénoncé les gardiens, nous a-t-il dit, il ne serait pas encore sorti du cachot… Ceci n’arrive qu’aux prisonniers de droits communs, a-t-il ajouté !
Ils connaissent bien les règles et les astuces dans les prisons. Celui-ci a été mis à l’écart des autres parce qu’il était soupçonné de trafic de drogue.
Je dois dire, que par une fenêtre en écoutant les autres parler, j’ai appris beaucoup, c’était comme si j’allais à l’université. Car en prison les savoir-faire sont tellement grands et riches e la connaissance est illimitée. Le soir tombé, je devais faire le triage de ce savoir précieux, très utile pour toutes ces années d’injustice.
Car en isolement, c’était important de savoir comment arriver à être fort, convaincu que je devais surpasser ces conditions dures et éprouvantes, physiquement et psychologiquement pénibles pour un innocent.