Les avocats d’Ali Aarrass ont l’intention de citer en justice l’Etat belge qui refuse l’assistance consulaire à leur client emprisonné au Maroc pour terrorisme. Le prisonnier clame son innocence et dénonce des conditions de détention qui exigent une intervention des Affaires étrangères. L’homme aurait subi des actes de torture, tels que rapportés par les Nations Unies.
21 Octobre 2013 06h11
Les avocats d’Ali Aarrass, Belgo-Marocain emprisonné au Maroc pour terrorisme depuis bientôt trois ans, ont l’intention de citer en justice l’Etat belge. Ils veulent que le tribunal de première instance de Bruxelles contraigne le ministère des Affaires étrangères à apporter une assistance consulaire à leur client. Celui-ci dénonce des conditions de détention portant atteintes à son intégrité physique et psychique (il aurait subi des actes tortures en 2012). Les Affaires étrangères ont toujours refusé cette aide car celle-ci ne s’applique pas à ses ressortissants lorsqu’ils ont une double nationalité et se trouvent dans le pays de leur autre nationalité. Elles s’appuient pour cela sur une Convention signée en 1930. Les avocats d’Ali Aarrass rejettent cet argument qu’ils considèrent « juridiquement faux ». Un Belge rencontrant de gros problèmes à l’étranger peut s’adresser à son ambassade (ou son consulat s’il y en a un). S’il est emprisonné, il peut demander aux autorités belges qu’elles s’assurent qu’il ait droit à un procès équitable et qu’il se trouve dans des conditions de détention correctes. Mais comment Ali Aarrass s’es-il retrouvé en prison ?
Condamné pour terrorisme, il clame son innocence
Ali est né en 1962 à Melilla, la ville espagnole située sur le territoire du Maroc, avec la nationalité marocaine. Arrivé en Belgique à l’âge de 15 ans, il y a vécu pendant 28 ans, soit plus de la moitié de sa vie, obtenant la nationalité belge en 1989. Durant cette période, il travaillera comme ouvrier et tiendra une librairie. Il accomplira même son service militaire en 1993, soit la dernière année avant la disparition de cette obligation. Finalement, en 2005, il est retourné à Melilla où il est devenu tenancier de café menant, semble-t-il, une vie paisible, jusqu’en 2008, lorsque tout a basculé.
Au mois d’avril 2008, Ali Aarrass a été arrêté sur la base d’accusations de trafic d’armes au profit du réseau islamiste dirigé par un autre Belgo-Marocain, Abdelkader Belliraj, condamné à la perpétuité pour « terrorisme » par le tribunal de Salé (ville voisine de Rabat, la capitale). Après deux ans et huit mois passés d’emprisonnement, la justice espagnole l’a extradé au Maroc en décembre 2010 où, affirme-t-il, il a été torturé pour signer des aveux sur lesquels s’est appuyé le tribunal de Salé pour le condamner à 15 ans de prison ferme, fin 2011.
Les documents signés par Ali Aarrass étaient rédigés en arabe, langue qu’il ne sait pas lire et maitrise mal à l’oral. Né à Melilla et ayant vécu en Belgique, il ne maîtrise que l’espagnol et le français, invoque notamment Nicolas Cohen, un de ses avocats, en guise d’élément incitant à suspecter des aveux arrachés sous la contrainte. La défense a plaidé l’innocence de son client pendant trois heures d’un procès que maître Cohen qualifie de « mascarade ». En appel, la peine d’Ali Aarrass a été réduite à douze ans.
Ali Aarrass, 51 ans, atteindra bientôt sa troisième année de captivité dans la prison de Salé II. Il y aurait subi des actes de torture. Le rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, Juan E. Méndez a pu entrer dans la cellule d’Ali Arrass le 20 septembre 2012. Il a pu constater avec un médecin indépendant, les traces de pratiques violentes sur son corps. « Le médecin légiste a conclu que la plupart des traces observées, bien que non diagnostiquées comme signes de torture, sont clairement compatibles avec les allégations présentées par M. Aarrass tels que brûlures occasionnées par une cigarette, pratique du « falanja » (coups assenés sur la plante des deux pieds), attachement intense puis suspension par les poignets et électrochocs aux testicules » peut-on lire dans le rapport de Juan E. Méndez rendu public le 31 mai 2013.
Une grève de la faim d’un mois pendant cet été
Réclamant une série d’améliorations des conditions de sa détention, Ali Aarrass a entamé une grève de la faim le 10 juillet dernier. Il l’a arrêtée presque un mois plus tard, le 8 août, en échange de la promesse de la signature d’un engagement, entre lui, la direction de la prison et le CNDH (Conseil national des droits de l’Homme), garantissant le respect de ses droits, avait expliqué sa sœur. Le détenu demandait à pouvoir téléphoner, aller dans la cour, se doucher, recevoir son courrier, que toute forme de harcèlement soit arrêtée et que les visites du vendredi puissent dépasser les 30 minutes autorisées pour sa famille de Belgique. Il avait aussi récupéré sa médaille des 20 km de Bruxelles, dont la confiscation avait été l’élément déclencheur de sa grève de la faim.
Aider des Belgo-Marocains au Maroc: un précédent qui pourrait s’avérer problématique
Le refus d’apporter une assistance consulaire aux Belges qui ont une double nationalité lorsqu’ils sont dans le pays de leur autre nationalité s’appuie sur une Convention signée par la Belgique en 1930, a indiqué Didier Reynders dans un courrier adressé aux avocats d’Ali Aarrass au mois de juin. Cette Convention stipule qu’une ambassade étrangère ne peut pas intervenir pour un citoyen belge en Belgique. Le ministère tient à ce que cette convention soit appliquée dans les deux sens : l’ambassade marocaine ne peut pas intervenir pour un Belge en Belgique, et de même l’ambassade belge ne peut pas intervenir pour un Marocain au Maroc. « Ce point de vue est accepté par les missions diplomatiques en Belgique et implique que notre pays ne déroge pas à ce principe lorsqu’il s’agit de Belges bipartides dans un pays dont ils ont également la nationalité » écrit le ministre Reynders. Apporter une assistance consulaire à Ali Aarrass pourrait par ailleurs constituer un précédent problématique pour la Belgique, vu le nombre de citoyens disposant de la double nationalité belgo-marocaine. « La réciprocité pourrait être invoquée. Dans un pays qui compte des centaines de milliers de ressortissants ayant une double nationalité, ceci ne paraît pas souhaitable » affirme Monsieur Reynders qui n’a sans doute guère envie, autant que son homologue marocain d’ailleurs, de se voir obligé de traiter des dossiers de Belgo-Marocains réclamant des assistances consulaires sur le sol belge cette fois.
Les avocats d’Ali Aarrass réfutent l’argument juridique de la Convention de 1930, avançant que le Maroc ne l’a pas signée. « Les motifs du refus sont juridiquement faux » conteste Dounia Alamat. Pour le cas d’Ali Arrass, Belgo-Marocain, il est considéré comme Marocain tant par les Autorités marocaines que belges. »
Ecolo soutient Ali Aarrass
Zakia Khattabi et Zoé Genot députées Ecolo ont interpellé le ministre Reynders sur la question. « Pour Ecolo, la double-nationalité ne peut en aucun cas être considérée comme une demi-citoyenneté, et donc une demi-démission face à des ressortissants belges en souffrance à l’étranger », écrivent-elles sur le site du parti écologiste. Elles accusent Didier Reynders, ministre des affaires étrangères, de considérer les Belges d’origines étrangères moins égaux que les autres.
Didier Reynders a pris des nouvelles d’Ali Aarrass
S’il refuse de concéder l’assistance consulaire, Didier Reynders a quand fini par faire un geste au mois d’août. Le ministre des Affaires étrangères a écrit à son homologue marocain, Saad Dine El Ohmani, pour lui demander d’informer les autorités belges de l’état de santé du Belgo-Marocain Ali Aarrass. Dans cette lettre, M. Reynders demande également aux autorités marocaines « de confirmer qu’il a accès à l’assistance médicale » et qu’il « bénéficie de conditions de détention conformes au respect de la dignité humaine et du droit humanitaire international », avait précisé le Service public fédéral (SPF) Affaires étrangères dans un communiqué. Didier Reynders insistait toutefois sur le fait que sa démarche ne se faisait pas au titre de l’assistance consulaire et était « justifiée par le souci permanent qu’a la Belgique que soient respectés pour tous les droits de l’homme et la dignité humaine ».
La lettre n’a pas satisfait les avocats. « Pour nous, ce n’est pas suffisant d’envoyer un courrier au ministre marocain, il faut intervenir, voir ce qu’il se passe dans la cellule d’Ali » estime l’avocate Dounia Alamat.
Ali torturé, pas le seul cas au Maroc
« Plusieurs instances internationales dénoncent une justice marocaine qui utilise la torture, qui ne fonctionne pas du tout », nous dit l’avocat Christophe Marchand, ceci malgré que le Maroc a ratifié la convention des Nations Unies contre la torture en 1993.
Dans l’arrêté du 25 septembre 2012 de la Cour Européenne des droits de l’homme, il est fait état que le Maroc soutire souvent des aveux par l’usage de la torture, surtout dans des dossiers relatifs au terrorisme.
Des organisations humanitaires telles que Human Right Watch ont plusieurs fois constaté l’usage de la torture et le désintérêt des juges marocains. « S’ils prenaient ce devoir au sérieux, les juges porteraient un grand coup non seulement en faveur de l’équité des procès mais aussi contre la torture et les mauvais traitements, et ils enverraient aux policiers un signal : ils doivent désormais soit recueillir leurs preuves par des moyens légaux, soit prendre le risque de voir le tribunal les rejeter » écrivait Eric Goldstein, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Right Watch dans le journal indépendant marocain Lakome.
C’est un procès politique selon l’avocat d’Ali Aarrass. Christophe Marchand justifie l’acharnement de la justice marocaine sur Ali Aarrass car pour lui, « la justice marocaine n’a pas pour objectif de juger, mais de faire comprendre aux Marocains qu’ils sont complétement dépendants du Maroc, même ayant une deuxième nationalité. »
Safia Bihmedn