Ali Aarrass, Salé II, Matricule 69 : Lettres de l’ombre (troisième partie), adressées à la DGAPR (Délégation Générale à l’administration pénitentiaire et à la réinsertion)

dans Lettres/Letters/Brieven par

Omar Al Mokhtar

(photo Omar al-Mokhtar, 1858 – 1931, dirigeant de la résistance libyenne contre l’occupation italienne)

Message adressé à la DGAPR  – Partie 3

Mauvais traitements sur les détenus

Je tiens par ailleurs à informer la DGAPR qu’ils continuent à frapper les détenus à l’intérieur de cachots isolés et à l’abri des regards…Pour se faire, ils sont aidés par des gorilles, hommes de main de la direction…Ils frappent même les détenus à l’intérieur de l’infirmerie en présence des infirmiers qui sont tenues de garder le silence. Ils commettent ces violences indignes à des endroits dits « à angle mort » dans la mesure où aucune scène ne peut être filmée par les caméras de surveillance. Cette façon de procéder est tristement habituelle…Et, comme expliqué précédemment, si un détenu ou fonctionnaire ose déposer une plainte, il le paye très cher.  Les cachots sont pleins et les transferts sont des moyens faciles de se débarrasser d’un problème potentiel.

Je tiens à vous informer aussi que ce directeur est le pire de tous en matière de maltraitance…  A l’occasion du mois de ramadan, tous ses prédécesseurs autorisaient les prisonniers à quitter leur cachot et réintégrer leur cellule, sauf lui…  Au point que même ses propres fonctionnaires (gardiens) s’indignent de son attitude inhumaine à l’égard des détenus, plus encore durant ce mois sacré du ramadan.  Il instaure un véritable climat de peur et de violence au sein de la prison.

Je rappelle encore tous mes courriers précédents adressés à la DGAPR.

Je rappelle aussi les visites du directeur pour tenter de me corrompre et me rallier à sa cause pour évincer l’ancien chef de quartier, Moulat Driss.

Je rappelle les visites du propre « confident » du directeur, lequel ne voyait en son directeur qu’un tremplin pour sa propre promotion et qu’il profitait de son inexpérience pour parvenir à ses fins.

Je rappelle à tous ces gens mal intentionnés que je suis certes emprisonné mais pas à vendre…Ils peuvent me visiter jour et nuit, je n’ai rien à leur donner  mis à part mon honnêteté et mon intégrité.

Aussi, Salé 2 a réellement besoin d’un directeur plus humain et doté d’une haute expérience dont ne peut se prévaloir le directeur actuel, ignorant complet des droits de l’homme, mais qui parait néanmoins protégé en haut lieu, selon moi…Comme je l’ai dit, son confident et lui ont tenté sur moi la ruse et le stratagème mais sans succès. J’insiste sur les aspects de leur personnalité car à mon âge, j’ai rarement été confronté à de tels lâches, plus manipulateurs l’un que l’autre. J’ai vu en eux l’être humain en ce qu’il a de plus infâme, ignoble, abjecte et crapuleux…Le directeur imbu de lui-même et parfait ignorant du milieu carcéral, il a dû être parachuté à ce poste…Quant à son confident, un parasite opportuniste sans envergure, juste en mal de promotion et un plus haut statut professionnel.

Prisonniers poursuivis pour apologie du terrorisme

Pour couronner le tout et comme si tous ces mauvais traitements ne suffisaient pas, une bonne dizaine de détenus, ceux qui osent s’exprimer quand ils subissent une injustice, ont été convoqués et interrogés. Je vous laisse imaginer l’ambiance…

Ils ont été accusés d’apologie du terrorisme en relation avec les attentats qui ont eu lieu en France et en Belgique. Il faut une grande motivation pour de telles accusations à l’encontre de détenus pour certains déjà lourdement condamnés. Ils ont même été amenés au parquet devant le juge d’instruction tant le procès-verbal pesait faussement lourd. Mais à la stupéfaction générale, ils ont été finalement acquittés. Le but de la manœuvre est que ce moyen dissuade les plus costauds et les plus résistants au cas où ils tenteraient quelque chose contre la direction…Et puis, en prison tout peut arriver, les faits les plus incroyables se produisent.  Rien n’est impossible pour nos bourreaux.

Pour tous ces motifs, j’ai envie de conseiller fortement au directeur qu’il retire ce costume trop grand pour lui et envisage une formation non seulement sur la gestion des prisons mais sur la gestion des hommes aussi.

Son manque d’expérience est une punition, une condamnation supplémentaire pour les détenus qui en payent le prix fort et en subissent les conséquences.

Quand on subit une violence gratuite, on réagit par une violence plus grande encore.  Celui qui est enfermé pour un délit mineur peut passer à l’acte et devenir un vrai meurtrier à cause des mauvais traitements qu’il subit lui-même.

En ce qui me concerne, il est fort probable qu’on rédige à mon nom un procès-verbal inventé de toute pièce.  Peut-être une manière de m’éloigner, le transfert tant redouté à l’insu de la famille.  Mais je ne plierai pas et ne courberai jamais l’échine. Je sais combien est risqué un tel comportement (surtout avec le directeur actuel) mais c’est ainsi, je m’interdis toute autre attitude.

Je continuerai à m’exprimer et à dénoncer inlassablement toute forme d’injustice tant que Dieu me prêtera cette force. Ma vie est entre Ses mains et non entre celles d’un directeur ou son bouffon de conseiller.

Ces hommes sauvages et stupides ne m’intimident pas.

Je remercie Le Tout Puissant de m’avoir comblé de cette soif de justice et de cette forme de courage.

J’aime cette phrase de Omar Al Mokhtar, surnommé le lion du désert, qui a résisté plus de 20 ans à la colonisation italienne de la Libye au début du 20è siècle :

« Tant que je peux le voir de mes yeux, l’ennemi ne me fait pas peur »

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Je tiens à préciser que j’ai résumé au mieux les évènements relatés ici et que je pourrais en relater de nombreux autres…Mais vous comprendrez les conditions d’insécurité dans lesquelles je rédige ces lignes et que je ne suis jamais sûr qu’elles arrivent au destinataire souhaité.

Ali Aarrass

(Cette lettre est la troisième des trois lettres d’Ali Aarrass de juin 2016, retranscrites par Farida Aarrass)

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