La sœur d’Abdellatif Bekhti nous parle du procès Belliraj et du traitement de son frère.

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Interview par Luk Vervaet

(photo :la soeur d’Abdellatif Bekhti et ses enfants)

Abdellatif Bekhti est arrivé en Belgique quand il avait l’age de 2 ans. Ils étaient 8 dans la famille. Comme beaucoup d’ouvriers immigrés de cette génération, son père, aujourd’hui décédé, travaillait dans la mine au Nord-Pas-de-Calais depuis 1960. Après il travaillait dans une usine à La Louvière qui appartenait au Baron Empain.

Abdellatif a trois enfants, dont l’aîné a 12 ans. Il a été un commerçant qui faisait les marchés. « En 2003, il a été condamné pour des faits au Luxembourg qu’il a toujours nié. Mais, quoi qu’on puisse penser sur lui : est-ce une raison pour accepter son arrestation et sa condamnation au Maroc en 2008 ? Est-ce que ça leur donne le droit de le traiter comme ils le font au Maroc ? », me demande sa sœur Chriffa, elle-même née à Bruxelles et maman de quatre enfants. « Il était une proie facile pour la sûreté marocaine, qui l’a enlevé dans le cadre du procès Belliraj. Un matin, en janvier 2008, cinq policiers en civil ont arrêté Abdellatif dans une rue à Casablanca. C’était un vrai enlèvement. Personne n’a été mis au courant. Abdellatif avait tout simplement disparu. Quand on cherchait des informations sur lui, c’est finalement le concierge du bâtiment qui a déclaré : je l’ai vu partir avec 5 hommes. La même chose est arrivée à d’autres. Comme au Belge Mustafa Tami. Lui était dans une boulangerie. Ses enfants l’attendaient dans la voiture. La police en civil l’a enlevé. Ils ont laissé les enfants seuls dans la voiture. Ce n’est que quand des passants se sont occupés de ces enfants abandonnés, qu’ils se sont réalisés que le père avait été kidnappé.

C’est grâce à un parlementaire qui a dit : « il ne faut pas que les années de plomb reviennent », que, 4 mois après sa disparition, on a su le retrouver. La police l’avait amené à la fameuse prison de Temara où il est resté du 30 janvier au 18 février 2008. Ensuite ils l’ont mis dans un bureau de police à Casablanca, en garde à vue, du 18 février au 28 février.

Ce n’était pas une surprise : quand il est sorti de là, mon frère avait signé des papiers en arabe, langue qu’il ne connaît pas. Il a été torturé, menacé qu’ils y auraient des conséquences pour sa famille s’il ne signait pas.

Mon frère ne s’est jamais occupé de la politique. Il n’avait pas d’idéologie particulière. Si nous on doit s’occuper de la politique aujourd’hui, c’est parce qu’on a été obligé à cause de ce procès. Et pourtant on accuse mon frère d’avoir été impliqué dans une affaire politique, une affaire de conspiration terroriste contre l’état marocain, l’affaire Belliraj. Mon frère n’est pas un terroriste. Le résultat de ce procès était joué d’avance. Avant que le procès commence le ministre de l’intérieur d’antan, Benmoussa, avait déjà déclaré que les inculpés étaient tous coupables. Et le tribunal, suivant les ordres politiques, a condamné tous les 35 personnes ramassées, qui avaient soi-disant tous un lien avec Belliraj. Est-ce que quelqu’un peut nous expliquer ce qui s’est passé par la suite ? Dans un procès terroriste, il y a toujours la dimension politique, il y a toujours un projet politique et idéologique, sinon on ne peut pas parler de procès antiterroriste. Or, en 2011, les cinq politiciens dans ce procès ont été tous graciés. L’idéologie a donc été blanchie. Alors en toute logique tout ce procès antiterroriste devait être annulé. Ou au moins, il aurait dû être repris à zéro.

Après une parodie de procès, mon frère a été condamné à 30 ans de prison. Aujourd’hui, ils purge sa peine à la prison d’ Oujda. J’ai lu dans un article sur Wikileaks que même l’ambassade américaine à Rabat et même l’ambassade belge à Rabat ont reconnu que ce procès était une farce. On torture les inculpés jusqu’à ce qu’ils admettent les accusations. Ils t’enlèvent, ils t’isolent, ils te mettent une cagoule, des menottes jour et nuit, ils te disent qu’ils vont s’en prendre à ta famille. Et ensuite les accusés signent un papier qu’ils ne comprennent pas. Et ça suffit pour le tribunal. Il ne faut plus présenter des preuves. Il n’y en a aucune dans ce procès ! »


 

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